Ces commissions, calculées en pourcentage du montant de la transaction, auraient pour effet de freiner la mobilité dans le parc résidentiel en créant des coûts de frottement insupportables. C’est un procès étrange alors que nous sortons de 4 années exceptionnelles en matière de volume de transactions. Autrement dit, les commissions n’ont pas empêché près d’1,2 million de ménages d’acheter leur logement en 2021…
Bercy, le ministère de l’Économie et des Finances, est très en pointe sur ce sujet. Ils ont récemment mandaté l’autorité de la concurrence pour mener une étude comparative sur le niveau des honoraires en Europe. C’est une bonne idée de réaliser un benchmark pour s’inspirer des bonnes pratiques, à condition que le diagnostic posé au niveau de la France soit conforme à la réalité. C’est donc l’objet de cette tribune que de rappeler certaines vérités sur notre profession.
La concurrence n’a jamais été aussi forte sur le marché
En économie, des prix trop élevés sont généralement la conséquence d’une pression concurrentielle trop faible. Les prestataires sont ainsi en position de force vis à vis du client et ils peuvent augmenter leur prix. Est-ce le cas pour les agents immobiliers? Non, non et non. Jamais il n’y a eu en France autant de professionnels de la transaction. Selon nos chiffres, le nombre de conseillers aurait doublé depuis 2016 pour passer de 50 000 à 100 000. Cette croissance s’explique par le fort développement des réseaux de mandataires, qui sont allés couvrir des nouvelles zones géographiques où les clients les attendaient, et par le retour à un plus haut historique en matière d’agences vitrées actives (entre 25 000 et 30 000 en 2022).
Les conseillers doivent désormais afficher un barème d’honoraires maximum, ce qui revient à dire qu’ils sont tout à fait libres de diminuer leurs commissions comme ils le souhaitent. La concurrence est donc pleine et entière : il y a de multiples acteurs sur chaque marché local et tous les acteurs ont la possibilité de baisser leur prix. D’ailleurs, on observe très clairement sur longue période une baisse tendancielle du pourcentage de commissions facturée aux clients. Selon les observateurs de l’industrie, le taux moyen est passé de 5,5% TTC en 2010 à 4,3% TTC aujourd’hui.
Observons également que la concurrence sur ce marché n’existe pas seulement entre professionnels. Le particulier est libre de vendre par lui-même son bien et il ne viendrait à l’idée de personne de revenir sur ce principe. En plus d’être libre, il dispose aujourd’hui de solutions digitales qui lui donnent vraiment le pouvoir. Les estimateurs en ligne sont à sa disposition et les portails lui permettent de faire savoir au plus grand nombre que son bien est à vendre. La concurrence joue à plein, et on observe que 7 vendeurs sur 10 privilégient le recours à un professionnel, un chiffre en augmentation constante depuis quarante ans.
Le niveau d’honoraires est cohérent avec la nature du service
On ne le dira jamais assez, les professionnels de la transaction travaillent la plupart du temps sans être rémunérés. La grande majorité des mandats sont simples, ce qui signifie que plusieurs conseillers œuvrent en parallèle pour vendre le même bien. Le vendeur, à tort ou à raison, y voit l’opportunité de multiplier les canaux de communication et donc de vendre plus vite. Pourquoi pas, c’est sa liberté de consommateur. En contrepartie, cela revient à dire que le conseiller n’a qu’une chance sur 3 ou 4 de réaliser la transaction, et qu’il aura donc travaillé pour rien dans la plupart des cas. Une commission sanctionne la bonne exécution d’une opération et elle vient aussi compenser, en partie seulement, le temps passé sur des transactions non conclues.
Rappelons aussi que les professionnels de la transaction font partie des rares agents économiques à être payés au succès et donc à la toute fin du processus. La rémunération au succès ? C’est leur noblesse, et nous sommes convaincus que les Français sont fortement attachés à ce principe. Comment pourrait-on envisager de payer un agent immobilier dans le cadre d’un projet immobilier qui n’irait pas au bout, avec toutes les conséquences sur la vie des vendeurs et des acheteurs que l’on peut imaginer. Être payé à la toute fin du processus ? C’est leur contrainte, et cela génère un fort besoin en fonds de roulement que le montant de la commission vient légèrement compenser. Dans la comparaison européenne, ne nous arrêtons pas uniquement à un taux de commission moyen et regardons la structure de marché dans son ensemble.
Les agents à frais réduits? On a déjà essayé, merci
On ne peut plus invoquer le bénéfice du doute. Depuis 2015, partout dans le monde ont émergé des startup ayant l’ambition de réduire drastiquement les commissions des agents immobiliers. Quels sont leurs résultats ? En France, la totalité des néo-agences (Liberkeys, Proprioo, Hosman, Welmo, etc.) ont fini par augmenter leurs commissions faute de rentabilité, et certains ont même abandonné le principe d’un montant fixe pour revenir à une logique de pourcentage. Ne parvenant plus à lever des fonds pour financer leurs pertes, ces sociétés sont généralement rachetées en dernier recours par des tiers (Proprioo par Casavo, Liberkeys par Arkea, etc.). Quid des comparables à l’étranger ? La plus grosse néoagence du monde est anglaise, et elle s’appelle Purplebricks. Affichant des pertes colossales depuis sa création en 2012, son cours de bourse a été divisé par 50 au cours des 4 dernières années. Pas vraiment un bon signe. Aux Etats-Unis, Homie, le leader de ce segment, s’est séparé de 25% de ses effectifs en 2022. Ces initiatives entrepreneuriales sont très utiles car elles obligent l’industrie à se remettre en question, notamment en tirant vers le haut la qualité de l’expérience client pour le consommateur final, mais elles n’ont pas encore démontré leur capacité à devenir des solutions pérennes.
Pourquoi donc ? Comme nous le disions plus haut, le métier d’agent immobilier est un métier éprouvant. On travaille souvent pour rien, et quand on réussit la commission n’arrive qu’en bout de chaîne ce qui est particulièrement préoccupant actuellement car la durée moyenne des ventes augmente. Ces néo-agences font donc face à des difficultés de recrutement ? Comment attirer des bons conseillers avec une rémunération aussi faible ? Si l’on décidait de baisser artificiellement les commissions des agents, nous deviendrions une industrie avec uniquement des mercenaires qui réalisent une vente ou deux et puis qui disparaissent. Tout le contraire de ce qu’il faut faire.
En diminuant artificiellement le niveau de commission pour les agents immobiliers, l’État favoriserait inévitablement le pap. En effet, il y aurait moins de conseillers immobiliers sur le terrain et donc moins d’intermédiation… et aussi moins de sécurité juridique. Nous le savons, la plupart des contentieux liés à une transaction immobilière sont le fait d’opérations qui se font de particulier à particulier alors que les agences traditionnelles comme les réseaux de mandataires affichent des taux de litiges proches de 0%. La tentation du PAP nous semble d’autant plus périlleuse que l’immobilier est un objet économique qui a tendance à se complexifier au fil du temps. Enjeu de la transition énergétique et diagnostics, Tracfin, logement connecté, etc, il y a tout un tas de nouveaux sujets qui rendent l’habitat de plus en plus sophistiqué. Est-ce vraiment le moment d’inciter les Français à se passer d’un professionnel de l’immobilier lors de leurs transactions ?
Faut-il changer les règles du jeu alors que la marché traverse une zone de turbulences ?
Si les années 2019, 2020 et 2021 ont été florissantes pour notre industrie, l’atterrissage du marché est une tendance désormais claire depuis quelques mois. La hausse des taux a été plus brutale qu’anticipé, et les modalités d’actualisation du taux d’usure ont eu des conséquences fatales à beaucoup d’acquéreurs potentiels. En conséquence, chacun s’accorde à dire que le volume de transactions pour l’année 2022 sera en repli d’environ 15% par rapport à 2021.
A cela s’ajoutent des coûts opérationnels pour les agents qui ont plutôt tendance à augmenter. Les dépenses marketing pour publier les biens sur les portails ont connu une forte inflation, tout comme les dépenses de carburant qui restent l’un des principaux postes de charge des agents immobiliers. Nous ne voulons pas exagérer ici le potentiel effet ciseau entre les revenus et les coûts, mais simplement mettre en évidence que le secteur de la transaction dans l’ancien subit entre clairement dans une zone de turbulences qu’il n’est peut-être opportun d’y ajouter de l’instabilité normative en matière d’honoraires.
Les pistes à explorer
Si le plafonnement des honoraires n’aurait aucun sens au niveau national, les pratiques étant très différentes d’une région à l’autre, c’est bien le principe même d’une réglementation qui nous paraît inutile. De même, la rémunération au succès est pour moi un totem sacré qu’il serait dangereux de remettre en question. Nous rappelons au passage que les professionnels de la transaction sont des alliés de Bercy en matière de finances publiques, la TVA collectée sur leurs honoraires représentant à elle-seule environ 1,5 milliard d’euros chaque année.
En tant que professionnels engagés, nous restons cependant attentifs à la bonne satisfaction de nos clients, tout comme à la fluidité nécessaire d’un marché résidentiel qui fonctionne. C’est pourquoi nous pensons que certains autres chantiers devraient faire l’objet de réflexions. Comment augmenter la part de mandats exclusifs dans notre profession? Comment atteindre un taux d’intermédiation plus élevé comme aux Etats-Unis où celui-ci est de 90% avec des commissions moyennes de 5% à 6%? Comment rééquilibrer la fiscalité sur l’immobilier de sorte que les droits de mutation puissent diminuer pour retrouver des niveaux acceptables? A nous de jouer !