Ces temps-ci, il paraît que les entreprises vendent leurs murs pour dégager de la trésorerie. Dans le secteur immobilier, un vent de cessions semble aussi souffler et ce sont aujourd’hui les vendeurs qui font la tendance. Faisons le portrait de ce marché et ses acteurs, avant de rappeler les enjeux et les étapes phares d’une cession à laquelle il est indispensable de se préparer.
Qui sont les acteurs qui font le marché ?
Commençons par un coup d’œil sur l’évolution des cessions dans l’immobilier. « Depuis les années 1990, avec la création de grands groupes immobiliers dont l’objectif assumé était de prendre de l’ampleur, ceux-ci avaient pour stratégie de grandir par le rachat d’entreprises immobilières. Résultat : des années durant et à l’appui d’importants gains de productivité, ces groupes ont racheté des portefeuilles immobiliers à tour de bras, tirant ainsi les prix vers le haut et générant une décorrélation entre la valeur patrimoniale réelle des cabinets rachetés et leur valeur de rentabilité » présente Mathieu Puichault, dirigeant du cabinet Viou-Gouron, spécialiste de la cession de cabinets immobiliers. Aujourd’hui pourtant, le marché se retourne : après deux années d’attentisme durant la crise sanitaire, les vendeurs se décident à passer le pas. Ils veulent enfin céder ce qu’ils n’ont pas pu vendre précédemment.
Quels types de profils ont-ils ? Pour beaucoup, ils arrivent à l’âge de la retraite et désirent transmettre leur patrimoine. Pour d’autres encore, à l’instar des particuliers, ils souhaitent quitter la région parisienne et réinvestir dans une entreprise immobilière en province. Enfin, pour d’autres – mais pas une majorité -, lassés de leur métier, la vente de leur cabinet marque un changement de vie.
Tandis que les vendeurs se multiplient, les acheteurs, eux, se montrent plus timides pour les mêmes raisons. Compte tenu de la conjoncture incertaine et d’une attractivité en légère berne pour la région parisienne, les acquéreurs hésitent à investir dans le rachat d’agences immobilières. Moins fonceurs qu’auparavant, les acheteurs se montrent plus réfléchis et prennent de grandes précautions avant de signer. Ils sont plus attentifs que jamais aux détails afin d’acheter en pleine connaissance de cause une affaire immobilière qui a les meilleures chances d’être rentable et pérenne. « Parmi ceux qui se lancent, 70 % sont des professionnels de l’immobilier déjà installés qui souhaitent élargir leur affaire grâce à un rachat.
On trouve peu de nouveaux arrivants dans le secteur parmi les acquéreurs, car ils ne possèdent généralement pas les compétences et garanties suffisantes pour assumer dès leurs débuts une reprise d’entreprise » précise Mathieu Puichault. « En revanche, grâce au retournement du marché et au ralentissement des rachats par les grands groupes, les indépendants, eux, vont avoir l’occasion de refaire des opérations intéressantes ».
Quelles sont les affaires qui se vendent bien (ou pas) ?
Alors, quelles sont les entreprises immobilières qui se vendent le mieux ? « Les activités dotées des meilleurs coefficients de valeur sont les cabinets de gestion locative, suivis de ceux de location, lesquels représentent sans hésiter les meilleures perspectives de rentabilité pour les acquéreurs » indique Richard Titin-Snaider, dirigeant du cabinet de cession d’agences immobilières CBI-Troubat. Viennent ensuite les agences spécialisées dans les activités de gestion de copropriété et dans la transaction, moins attractives de par l’incertitude des revenus générés.
« Les coefficients de valeur sont importants bien sûr, mais ils ne représentent que la moitié de la note de valorisation d’une affaire mise en vente. Bien d’autres facteurs entrent en considération. Une belle affaire est sans conteste une agence ou un cabinet à la situation géographique avantageuse, à la renommée établie, au portefeuille garni, aux collaborateurs compétents, à la clientèle stable et fidèle, à la rentabilité pérenne et aux biens entretenus.
Bref, une affaire de belle facture ». Dans ce type de cas, la valorisation de l’entreprise va bien au-delà des seuls coefficients traditionnels liés aux activités pratiquées. « Le travail des cabinets qui accompagnent les cessions d’entreprise est justement d’évaluer la valorisation globale de celles-ci, au regard de tous ces éléments pris en compte. Ainsi, une affaire qui est bien évaluée et bien valorisée peut se vendre très rapidement.
J’ai notamment en tête un récent dossier de cession d’une agence située dans le centre de Paris qui a trouvé preneur en une journée ». Dans ces cas les plus favorables, l’effet « coup de coeur » des acquéreurs peut vite chiffrer. Mais toutes les affaires ne se valent pas… et certaines ont du mal à se vendre. « Une agence située dans un quartier à la réputation douteuse, aux biens mal entretenus et à la clientèle compliquée peut vite devenir un poids pour son gérant et dans ce cas, le vendeur est prêt à baisser le prix de cession pour s’en débarrasser ».
Un enjeu de transmission et de valorisation pour les cédants
Quelle que soit la teneur de leur entreprise à céder, l’enjeu pour les cédants est celui de la transmission et de la valorisation de leur patrimoine professionnel.
Lorsque ceux-ci envisagent une cession dans le cadre d’un départ en retraite, la cession marque souvent l’aboutissement de longues années de travail pour bâtir une affaire rentable.
« Dans ce cas, les vendeurs peuvent avoir des difficultés à évaluer objectivement la valeur de leur entreprise et ils sont aussi regardants sur la qualité de leur repreneur, par crainte de voir leur affaire tomber entre des mains maladroites et se casser la figure. Il s’agit donc pour eux – et pour les intermédiaires professionnels chargés de la cession – de trouver un acquéreur à la hauteur de l’affaire » poursuit M. Titin-Snaider.
Pour d’autres cédants, les conditions et le prix de la cession impactent plutôt leur réinvestissement envisagé par la suite.
Ainsi, il existe autant de cédants que de cas de figure différents et le contexte de vente de chacun est déterminant dans le déroulement des conditions de cession. Le conseil des professionnels : ne pas sous-estimer le temps ni la préparation nécessaires à une cession d’entreprise immobilière.
Comment se préparer à une cession ?
Céder son agence immobilière ou son cabinet d’administration de biens est en effet une action qui s’anticipe. « Il faut être clair sur les raisons pour lesquelles on cède, établir ce que l’on souhaite faire après, bref, mûrir cette décision, sans oublier d’avancer bien accompagné » résume Mathieu Puichault.
Alors, par où commencer ?
- Savoir ce que l’on vend
La question peut surprendre et pourtant, savez-vous exactement ce que vous souhaitez vendre ? Le fonds de commerce de votre agence ou cabinet, ou bien les titres de votre société ? Comme l’explique très clairement Maître Caroline Dubuis-Taleyrach(1), la différence est de taille, financièrement, fiscalement et juridiquement. En cas de cession d’un fonds de commerce, c’est la société qui cède un actif (le fonds de commerce), composé d’une clientèle, de l’enseigne (si elle vous appartient) du droit au bail et du site Internet. En revanche, en cas de cession de vos titres, c’est toute la société qui est cédée : l’actif et le passif.
Pour choisir le mode de cession qui correspond le mieux à votre objectif et mener à bien votre opération, mieux vaut donc se rapprocher de professionnels spécialistes de la cession d’agences ou de portefeuilles. - S’entourer des bons intermédiaires professionnels
En effet, l’intervention de professionnels experts s’avère aussi utile que nécessaire pour identifier les meilleures conditions de vente, valoriser les activités à céder et sécuriser la transmission. Il existe des agences immobilières spécialisées dans les cessions d’agences et de portefeuilles, indépendantes ou liées à des réseaux de franchise. Pour assurer le règlement des aspects juridiques, comptables et fiscaux, l’expertise d’un comptable et d’un avocat est aussi une aide précieuse1. D’ailleurs, certains avocats ont une activité de mandataire en transmission d’entreprises.
– Constituer le dossier de vente et déléguer la rédaction des actes
D’une part, la constitution du dossier de vente, la négociation de la cession puis la rédaction et la signature des actes sont des étapes plus compliquées qu’il n’y paraît. Ces phases nécessitent l’intervention et la coordination de plusieurs professionnels (avocats, notaires, rédacteurs d’actes, experts comptables, banques) et ceux-ci seront de précieux alliés pour vous assister. Tout au long du processus de vente, la réactivité sera de mise de façon à fluidifier le déroulement des diligences qui incombent à chacun.
Notez également que la confidentialité est une règle essentielle afin de limiter la divulgation des informations confidentielles. « À défaut, cela peut impacter la réputation de l’agence ou du cabinet et, de ce fait, déprécier son prix de vente » s’accordent messieurs Titin-Snaider et Puichault.
– Ordonner sa structure comptable, juridique et fiscale
D’autre part, se lancer dans un processus de cession nécessite de mettre en ordre tous les aspects comptables, juridiques et fiscaux de l’entreprise. Si l’expertise d’un comptable vous sera utile pour vérifier et ordonner l’ensemble de vos comptes, l’intervention d’un avocat sera également décisive au regard de la structure juridique de la société à céder.
Maître Stéphanie Perrod-de Verdelhan, avocate fiscaliste au sein du cabinet Numa Avocats, explique justement : « La structure juridique d’une entreprise a des conséquences fiscales et financières non négligeables lors d’une cession. Il est donc capital d’anticiper ce type d’opération et d’être bien conseillé, de façon à pouvoir mettre en place des opérations de transmission préalables, modifier si nécessaire la structuration de l’entreprise et ainsi optimiser le prix de cession qui reviendra au cédant ».
En fait, tout dépend de l’objectif du cédant, ajoute Maître Perrod-de Verdelhan. « S’il s’agit d’une fin de carrière professionnelle par exemple, il est possible d’envisager des dispositions spécifiques afin de bénéficier éventuellement d’un abattement fiscal sur la plus-value. En revanche, s’il s’agit d’une cession opérée dans la perspective d’un réinvestissement futur, la création de holding peut être pertinente sous certaines conditions, afin de limiter le taux d’imposition ou encore de démultiplier la capacité de réinvestissement ».
C’est là tout le rôle des professionnels : procéder à la meilleure lecture possible du bilan d’une société et d’une situation de cession pour optimiser ses conditions de transmission. Un conseil ? « Ne pas hésiter à anticiper son projet de
cession sur plusieurs années » avise l’avocate, car une cession peut vite devenir stressante.
– S’assurer de céder son affaire à un repreneur qualifié
« Parmi les principales préoccupations des cédants, celle de trouver le bon acquéreur fait partie des inquiétudes récurrentes » poursuit M. Titin-Snaider. C’est tout à fait compréhensible : après avoir consacré des années de leur vie à bâtir une affaire, une réputation, à conquérir une clientèle, les vendeurs redoutent de voir ce travail tomber entre les mains d’un repreneur maladroit qui mettrait en péril la pérennité de l’entreprise. « Choisir un bon successeur qui possède les qualités, compétences et capacités financières suffisantes est ainsi une étape déterminante, qui mérite une fois de plus le regard aiguisé des spécialistes de la cession afin de diriger les vendeurs vers les bons interlocuteurs ».
« Un doute sur les qualités d’un candidat à la reprise ? Dans ces cas-là, je recommande aux clients de passer leur chemin car pour qu’une transmission se déroule dans les meilleures conditions, la confiance doit être totale de toutes parts. Les deux parties doivent pouvoir travailler en bonne entente, à livre ouvert, pour aborder sans crainte tous les aspects de la transmission » recommande M. Titin-Snaider.
1 « Cession d’agence ou de portefeuille », Me Caroline Dubuis Talayrach, avocat – publié le 29 janvier 2022