Les mouvements démographiques, les contraintes urbaines et les difficultés économiques accentuées par l’inflation rendent de plus en plus prégnante l’accession au logement. Depuis quelques années, les technologies numériques offrent la possibilité de remodeler les parcours résidentiels, et en particulier du logement locatif. De fait, l’arrivée d’une proportion toujours plus importante de locataires sur le marché privé accentue le recours à la colocation. Elle constitue un modèle habituel aux Etats-Unis où les affres de la vie en communauté à Manhattan charment les nombreux spectateurs de la série Friends depuis près de 30 ans. Mais en France aussi, ce marché grandit fortement.
Une solution de logement plus subie que choisie ?
Les adeptes de la colocation, ces « ménages complexes » comme les dénomme l’Insee, ont ainsi accès à une vie de communauté dans des logements plus spacieux, permettant de lutter contre la solitude, de partager le quotidien et d’accéder à un logement à moindre coût. Cette manière d’habiter est alors un véritable choix de vie. Mais bien souvent, il s’agit encore d’une solution subie par les personnes bénéficiant de revenus faibles ou incertains, dans les villes où les loyers ont significativement augmenté.
Si ce mode d’habitat concerne majoritairement des étudiants (7 % d’entre eux), il augmente avec les années d’études et séduit également de plus en plus les jeunes actifs précaires (CDD, interim, etc.). Une étude a notamment montré une forte augmentation de la colocation, de +50 % en 10 ans sur la métropole lilloise. Elle concerne majoritairement deux individus sans lien de parenté (75 % des cas) qui trouvent à se loger dans des logements plus grands (les colocations de T4 ont crû de +30 %).
Où et à quels prix ?
Que l’on se rassure, les loyers de la colocation sont bien inférieurs à celui de Monica et Rachel, évalué par CNBC à 7 000 dollars par mois… bien au-delà des 200 dollars qu’elles déclarent payer !
Selon une étude menée par la plateforme LocService en 2021, le loyer moyen d’une chambre en colocation s’élève à 468 euros charges incluses au niveau national. Mais il faut noter que cette moyenne cache de fortes disparités selon les villes. En province, le loyer moyen en colocation est de 392 euros contre 542 euros en Île-de-France et 715 euros à Paris (2021).
D’après cette étude, La Rochelle est la grande ville dans laquelle le marché est le plus tendu : elle enregistre 7,9 demandes pour une chambre libre. Suivent Lyon (4,8 demandes par chambre), puis Lille (4,7 demandes par chambre). Paris et Angers viennent compléter ce classement avec respectivement 4,6 et 3,4 demandes par chambre.
« Souvent, il s’agit encore d’une solution subie par les personnes aux revenus faibles ou incertains, dans les villes où les loyers ont significativement augmenté. »
Les acteurs se positionnent
Ce phénomène grandissant n’est pas propre à la France et touche en réalité la plupart des grandes villes du monde. Pour les propriétaires, malgré l’instabilité apparente des situations, la colocation peut s’avérer rentable puisque les grands logements peuvent être valorisés à des niveaux proches de ceux des petits logements. Les investisseurs immobiliers l’ont d’ailleurs bien compris puisqu’ils sont de plus en plus nombreux à miser sur la colocation pour rentabiliser leurs biens. Certains professionnels du secteur avancent même le chiffre de 30 % d’augmentation par an de la demande d’investissements en colocation.
Le développement récent de ce marché a ainsi favorisé l’émergence d’acteurs spécialisés telles que les associations accompagnant la colocation avec des personnes fragiles (sénior, familles monoparentales, avec handicap, etc.), les agences immobilières spécialisées ou les plateformes de mise en relation aidée par les nouvelles technologies. La spécificité de ce marché immobilier est qu’il concerne autant les biens que les personnes et qu’il met en jeu les questions fondamentales liées à l’espace privé, à la préservation de l’intimité, à l’espace partagé et son utilisation. Les informations concernent ainsi à la fois les biens loués et les autres colocataires. C’est d’ailleurs l’originalité du positionnement affiché de certaines plateformes, s’attachant à travailler en priorité la rencontre des futurs locataires en fonction de leurs valeurs et modes de vie.
« Le paradoxe de ce marché est qu’un colocataire parfait est un colocataire absent. »
Oui mais pas pour la vie
Des chercheuses australiennes se sont penchées sur cette question du « marché du co-locataire ». Analysant une base de plus de 9 000 annonces du site flatmates.com, elles ont ainsi brossé le portrait du « colocataire idéal(e) ». Les résultats sont à la fois éloquents et étonnants : le co-locataire rêvé est une personne qui contribue agréablement à la vie sociale, qui s’implique activement dans les tâches ménagères mais qui, dans le même temps, n’est presque jamais dans le logement. Ce résultat révèle le paradoxe de ce marché – un colocataire parfait est un colocataire absent.
On en arrive ainsi aux limites du marché de la colocation pour une occupation stable sur le long terme… sauf pour les colocataires qui se mettent en couple et forment finalement des familles qui pourront, à leur tour, acheter un appartement en coliving. Une version plus
« standing » de la colocation, précédemment expliquée par Hervé Parent1 : les habitants vivent généralement dans des résidences neuves, décorées, meublées, équipées et dotées de services, qui se divisent entre espaces privatifs (chambre, salle de bain, petite cuisine) et espaces partagés (salon, espace de coworking, salle de sport, etc). Une tendance forte à laquelle il faut aussi s’intéresser !
1 : Article « Coliving : une innovation prometteuse » Journal de l’Agence n°74 paru en juin 2022
Source : Maalsen S. & N. Gurran (2021), Finding home online? The Digitalization of share housing and the making of home through absence, Housing, Theory and Society.