Il est courant d’entendre que la jeune génération, appelée aussi la génération Y ou les « millenials » (c’est-à-dire les jeunes nés entre 1980 et 2000), est adepte de la flexibilité et ne souhaite pas s’engager. Ces jeunes seraient davantage attachés à l’usage et aux services rendus qu’à la possession, considérée comme pesante et limitante.
Contrairement aux générations précédentes, les jeunes actifs ne chercheraient plus à acquérir leur propre logement. De fait, près de la moitié des moins de 35 ans restent locataires et, d’après l’Ifop, les deux tiers ne souhaitent pas investir à court terme dans l’achat de leur résidence principale. En première instance, ce choix pourrait sembler logique, en phase avec leur style de vie plus mobile et nomade que celui de leurs parents. Mais peut-être serait-il plus instructif encore de mettre en perspective ces comportements générationnels avec les évolutions conjoncturelles.
Pour mieux comprendre les représentations que se font réellement les jeunes du logement, la chercheuse Nayla Fuster et ses collègues ont analysé leurs choix entre location et achat. Ce travail leur a permis de se pencher sur les discours dominants qui entourent l’accession à la propriété, avant et après les différentes crises financières et immobilières. L’occasion de constater l’impact de ces conjonctures sur les rêves d’achat et les désillusions des jeunes générations.
L’impact des crises
Avant la crise des subprimes déclenchée en 2007 et l’éclatement de la bulle immobilière, l’accession à la propriété était encore fortement associée par les jeunes générations aux concepts de sécurisation, d’épargne, d’investissement sûr et durable. La propriété immobilière était perçue comme un bouclier, une sécurité économique pour l’avenir et le symbole d’un passage normal et attendu à la vie d’adulte. D’un point de vue social même, cette étape naturelle permettait d’envisager sa vie plus sereinement et encourageait la prise de risque. Les verbatim associés à l’achat immobilier étaient par exemple ceux du type : « L’immobilier est une valeur qui globalement monte toujours ! » ou encore : « On peut toujours revendre et récupérer son argent si besoin ». En miroir, la location était à l’inverse vue comme un gaspillage d’argent, une option beaucoup trop chère, voire « stupide », apanage de ceux qui ne réussissent pas ou n’ont pas compris ce qui était rationnel pour eux.
Après les bouleversements qui ont suivi les différentes crises, les discours des jeunes ont changé : être propriétaire de son logement n’a plus été la stratégie la plus sûre. Acheter est même devenu une option potentiellement dangereuse, car excessivement coûteuse et économiquement irrationnelle, notamment du fait des prix d’achat toujours plus élevés et de crédits toujours plus longs et difficiles à obtenir. D’ailleurs, notons que ce mouvement est l’un des symptômes de la « société du risque » : les jeunes sont confrontés à toujours plus d’insécurité, d’instabilité, qu’elle soit professionnelle, financière, sanitaire, etc., et il leur faut régulièrement trouver différentes formes de résilience pour traverser ces épreuves.
Dans ce contexte, l’option la plus sécurisée deviendrait finalement la location. Désormais, louer son logement est perçu comme la stratégie la plus prudente du fait de la flexibilité qu’elle procure. On peut alors entendre des justifications comme : « On peut toujours déménager si l’on gagne moins ou si l’on a une opportunité ailleurs » et «Cela permet de s’adapter à un monde incertain ».
«Contrairement aux générations précédentes, les jeunes actifs ne chercheraient plus à acquérir leur logement», Fabrice Larceneux Chercheur CNRS Dauphine Recherche en Management
Les rêves de propriété n’ont pas disparu
Et pourtant, la culture de la propriété n’a pas disparu. Elle prend cependant les atours d’une autocensure structurelle, empêchant certains jeunes d’énoncer explicitement leur attrait pour la possession immobilière. De fait, les difficultés rencontrées par les jeunes primo-accédants, notamment les moins fortunés, limitent leur capacité de projection dans l’accession à la propriété, comme un rêve interdit que l’on s’autorisera éventuellement plus tard. Pourtant, les fondamentaux n’ont pas changé : devenir propriétaire occupant offre toujours une sécurité ontologique, un statut à part entière rassurant l’estime de soi et, plus prosaïquement, une situation qui protège toujours contre les risques d’expulsion et la hausse des loyers. Et pour cause, en vingt ans, les revenus moyens ont progressé de 40 % quand les prix immobiliers ont quant à eux crû de 140 %.
«La culture de la propriété n’a pas disparu : elle prend cependant les atours d’une autocensure pour certains.», Fabrice Larceneux Chercheur CNRS Dauphine Recherche en Management
Ainsi, on remarque que les discours autour de l’immobilier renvoient à des normes sociales toujours fortement ancrées : la réussite du passage à l’âge adulte ou la capacité à fonder et sécuriser une famille sont des éléments structurants, notamment pour les classes sociales dites inférieures, quand ceux relatifs à la flexibilité et au nomadisme sont davantage l’apanage des jeunes plus aisés. Pour ceux financièrement moins avantagés, l’abandon du discours de la propriété est donc plus violent, créateur d’instabilités et de craintes renforcées quant à leur avenir. Cela nous invite ainsi à relativiser cette supposée volonté de flexibilité généralisée des millenials. En effet, pour la partie la moins chanceuse, elle subit plus qu’elle ne choisit véritablement la location car la propriété lui est devenue inaccessible. Il faudrait non seulement rendre possible cette accession, mais surtout réenchanter la possibilité d’être propriétaire, notamment pour ceux qui ne s’autorisent même plus à l’énoncer ni à l’envisager.
Tous les jeunes de la génération actuelle devraient s’autoriser à concrétiser leurs rêves. La solidarité intergénérationnelle est certainement un axe prometteur pour y arriver. À nous, collectivement, d’y oeuvrer .
Sources : Fuster, N., Arundel, R., & Susino, J. (2019). From a culture of homeownership to generation rent : housing discourses of young adults in Spain. Journal of Youth Studies, 22(5), 585-603.