C’est un client qui m’a donné l’idée de cet article et je sais qu’il se reconnaîtra en tant que fidèle lecteur. Plusieurs collaborateurs d’une même agence avaient chacun une offre sur un bien et chacun estimait que son offre était prioritaire. Alors, quelle offre prime et comment faire ?
1. La première offre au prix
Avant la contre signature d’une offre par le vendeur, il est très courant d’entendre dire que c’est la première offre au prix qui prime. Si un temps cette pratique reposait sur une jurisprudence de la Cour de cassation (A), l’évolution des textes et de la jurisprudence lui donnent aujourd’hui une portée limitée (B).
A. La pollicitation
Longtemps, on s’est interrogé sur la valeur juridique d’une annonce immobilière. La publicité de vente d’un bien immobilier peut-elle être considérée comme une offre de vente dont la simple acceptation vaudrait formation de la vente ? Dans le passé, la Cour de cassation a répondu par l’affirmative en jugeant à propos de publicités pour des biens immobiliers, que l’offre de vente faite au public peut entraîner la formation du contrat par la seule survenance d’une acceptation, au même titre qu’une offre faite à une personne déterminée (Cass. 3e civ., 28 nov. 1968, n° 67-10.935 ; Cass. 3e civ., 1er juill. 1998, n° 96-20.605, n° 1183). Cependant, cette jurisprudence sur la pollicitation a une portée limitée.
B. Une portée limitée
De nos jours, la limitation des effets de cette jurisprudence résulte tant de l’évolution des textes que de la jurisprudence elle-même.
1. L’évolution des textes
En 2016, le Code civil a codifi é le principe de la pollicitation par la création de l’article 1114 : « L’offre, faite à personne déterminée ou indéterminée, comprend les éléments essentiels du contrat envisagé et exprime la volonté de son auteur d’être lié en cas d’acceptation. A défaut, il y a seulement invitation à entrer en négociation.» Il ne suffit donc plus de répondre positivement à une annonce pour former un contrat. L’offre doit contenir les «conditions essentielles» de la vente et l’annonceur doit exprimer sa volonté d’être lié en cas d’acceptation. La formation de la vente n’est plus automatique. S’ajoute une évolution jurisprudentielle qui distingue deux cas : la publicité faite par un agent immobilier et celle faite par le propriétaire.
2. L’évolution de la jurisprudence
- La publicité faite par un agent immobilier.
Quand la publicité du bien est faite par un agent immobilier titulaire d’un mandat d’entremise (c’est à dire un mandat l’autorisant à rechercher des acquéreurs et à négocier, mais ne l’autorisant pas à accepter une offre, ni à signer un compromis), une offre d’achat au prix de la publicité n’engage pas les parties (Cass. 3e civ., 17 juin 2009, n° 08-13.833, n° 796 FS -P + B).
Ainsi, le mandat d’entremise forme « un bouclier » qui fait obstacle à ce que la publicité puisse être considérée comme une offre dont l’acceptation par le premier acquéreur vaudrait vente. - La publicité faite par le propriétaire.
Quand la publicité est faite par le vendeur, le « bouclier » du mandat d’entremise de l’agent immobilier n’existe pas. Cependant peut-on considérer automatiquement qu’il y a vente dès qu’un acquéreur fait une offre au prix de l’annonce ? La Cour d’appel de Paris a jugé dans deux arrêts de 2014 qu’il n’y avait pas vente au regard de la complexité que constitue une vente immobilière et que la publicité était seulement une invitation à entrer en pourparlers. Il serait opportun que la Cour suprême confirme cette position.
Ainsi, la première offre transmise à une agence immobilière titulaire d’un mandat d’entremise ne lie pas le vendeur et l’acquéreur si elle n’a pas été acceptée par le propriétaire. Dès lors, comment l’agence doit procéder si elle reçoit des offres concomitantes pour un même bien ?
La gestion des offres concomitantes
A. Les obligations de l’agence
L’agence doit accomplir sa mission tant qu’elle en est chargée et en rendre compte. Ainsi, si le vendeur ne s’est pas engagé avec un acquéreur, l’agence doit lui transmettre les offres reçues. Cela résulte à la fois du Code civil (articles 1191 et 1993), de la réglementation dite Hoguet (article 77 Décret du 20/07/1972), mais aussi du Code de déontologie des agents immobiliers (article 8-3° à 8-5°) qui prévoit que les professionnels doivent : « 3° communiquer à leurs mandants et aux autres parties aux opérations pour lesquelles elles ont été mandatées l’ensemble des informations qui leur sont utiles pour qu’ils prennent leurs décisions de façon libre et éclairée ; 4° Rendre compte régulièrement et dans les meilleurs délais à leurs mandants de l’exécution de leur mission et à les avertir des difficultés rencontrées ; 5° Transmettre à leur mandant dans les meilleurs délais toute proposition répondant au mandat confié ; »
Le vendeur quant à lui au visa de l’article 1102 du Code civil, est libre du choix de son acquéreur, sous réserve de ne pas déroger à une règle d’ordre public (ex : discrimination).
B. Le procédé
Dans tous les cas, il y aura de la frustration à gérer chez les acquéreurs, collaborateurs et/ou l’agence ayant présenté les offres non retenues. Mieux vaut avoir un procédé respectueux de la réglementation et transparent à l’égard des clients. Je vous en propose un en six étapes :
- Recevoir toutes les offres concomitantes.
- Informer les acquéreurs de la pluralité des offres et du cadre légal.
- Demander les justifcatifs du financement.
- Transmettre toutes les offres au vendeur.
- Conseiller le vendeur, notamment en considération de la solvabilité des acquéreurs.
- Garder une trace de la transmission des offres.
A défaut, la responsabilité de l’agent immobilier peut être engagée par l’acquéreur ou le vendeur, notamment pour perte de chance.
La Cour d’appel de Paris vient de faire une application très récente de la solution proposée (CA Paul 1 février 2022, n° 20/00884) en jugeant qu’ « au regard de deux offres intervenues le même jour, le 7 mai 2018, il faut considérer qu’elles sont concomitantes. Il n’appartenait pas à l’agence qui n’était pas pourvue d’un mandat de représentation de donner elle-même une réponse sur ces propositions » et que le vendeur n’a pas commis de faute « en choisissant l’acquéreur dont l’offre était de façon non équivoque dépourvue de la condition suspensive d’obtention d’un prêt ».
Enfin, dernier point important : si l’agence reçoit une offre à un prix supérieur au prix du mandat, elle doit également la transmettre au vendeur.