Voici que la communauté professionnelle des agents immobiliers et des administrateurs de biens a une nouvelle raison de ne pas s’entendre avec ellemême. Ce qui est plus rare, c’est qu’il y a quelques années, elle s’accordait sur le sujet au point d’avoir signé une demande concertée au gouvernement. Maintenant, la situation a évolué vers la discorde. Il s’agit de rendre applicable une disposition majeure de la loi ALUR du 24 mars 2014. Vous avez bien lu, 2014. Huit ans cette année que l’on attend le décret qui rendra effective l’obligation d’aptitude minimum pour les collaborateurs d’agence immobilière ou de cabinet d’administration de biens, de sorte qu’ils puissent être habilités à s’entremettre.
Une épopée réglementaire
Un petit retour en arrière est nécessaire. En 2009 et 2010, la FNAIM, l’UNIS et le SNPI travaillent à un livre blanc, consécutif au grand débat interne de la profession sur l’utilité de faire évoluer l’encadrement des activités par la loi Hoguet vers la création d’une organisation ordinale. Si l’idée même d’ordre est majoritairement rejetée, les syndicats demandent aux pouvoirs publics un renforcement du dispositif légal au nom de leurs membres. Celui-ci donnera lieu à plusieurs évolutions ménagées par la loi ALUR à la loi du 2 janvier 1970. Ainsi est né le Conseil national de la transaction et de la gestion immobilières (CNTGI), ou encore l’obligation de formation continue pour renouveler sa carte professionnelle. L’ALUR a aussi renforcé le pouvoir d’investigation des garants des fonds déposés et a majoré envers eux les exigences de transparence et de solidité financière. Une disposition est en revanche passée inaperçue, alors que son absence dans la loi Hoguet avait été déplorée par le cahier de doléances des organisations professionnelles : l’obligation de se former pour les négociateurs ou les gestionnaires prétendant à être délégataires du titulaire de la carte professionnelle de l’agence ou du cabinet.
Cécile Duflot avait dès le projet de loi ALUR fait droit à la demande des représentants des professions de la transaction et de la gestion, non sans raison. Le tissu des entreprises avait radicalement changé depuis les années 70 : les agences et cabinets de taille plus importante se sont généralisés, alors que le modèle artisanal ou familial prévalait lors du vote de la loi du 2 janvier 1970.
À l’époque, cela signifiait que le responsable légal de la structure était à proximité physique de ses collaborateurs et s’impliquait sur chaque dossier. La responsabilité des collaborateurs, qu’ils soient d’ailleurs salariés ou agents commerciaux, est majorée de fait et de droit par rapport à ce qu’elle était il y a trente, quarante ou cinquante ans. Pour le dire autrement, la probabilité qu’un client ait affaire à un collaborateur habilité par son patron — et non au patron lui-même — est sans doute de 90 %.
C’est la nature de l’aptitude exigée que le décret d’application de la loi de 2014 précisera. Des suggestions ont déjà été formulées dans l’ouvrage collectif professionnel de 2010 et plus récemment par la FNAIM, l’ESI (École supérieure de l’immobilier) ou l’IMSI (Institut du Management des Services Immobiliers). Une semaine de formation serait requise pour l’apprentissage des lois fondamentales, l’encadrement des activités, la déontologie, la copropriété, les rapports locatifs et la fi scalité notamment. Il est clair qu’on ne parle pas de motivation à la vente mais des rudiments du droit spécifique, sans exclure une approche commerciale.
« Comment des métiers pour lesquels il faut se former une quarantaine d’heures pour exercer perdraient-ils de l’attractivité ? C’est même l’inverse. » HENRY BUZY-CAZAUX Président fondateur de l’Institut du Management des Services Immobiliers, vice-président de FIABCI-France
Susciter l’attractivité de la profession
Pourquoi donc cette disposition de bon sens, protectrice du consommateur et valorisante pour les professionnels, ne donnet-elle pas lieu à application ? Parce qu’une partie de la profession n’en veut plus. Elle considère que la liberté de recruter serait mise à mal, oubliant au passage qu’il s’agit de transférer une partie du pouvoir de se livrer à une activité règlementée et non de se choisir un simple collaborateur. L’UNIS a ainsi formulé cette pétition de liberté du chef d’entreprise, ce qui est compréhensible mais ne correspond pas au sujet. D’autres redoutent que la difficulté de recruter soit aggravée. Comment des métiers pour lesquels il faut se former une quarantaine d’heures pour exercer perdraient-ils de l’attractivité ? En quoi serait-ce une fermeture ? C’est même l’inverse. On est attiré par ce qui rend fi er et une activité à laquelle il faut se former est plus séduisante que si elle était ouverte à tous les vents. Quel nouveau négociateur, quel jeune gestionnaire ou quelle personne en reconversion n’aura-t-il pas la satisfaction de dire à son entourage qu’il fait un métier difficile, honorable et par conséquent, qu’il a dû s’y préparer ?
« La profession se prive de prouver qu’elle veut pour elle-même un destin élevé. »
Reconnaître la compétence
Le résultat est attristant : le décret qui pourrait tellement contribuer à donner des professions immobilières une image plus rassurante, de plus grande compétence, est bloqué. L’exécutif, qui se dit sous tous les régimes indépendants et le prouve parfois avec des mesures brutales et malvenues, est étrangement pris de frilosité et attend l’unanimité professionnelle qui n’adviendra jamais. Sans compter le déni de démocratie qui consiste à ne pas rendre applicable une loi votée, qui plus est sur ce point à la quasi unanimité du parlement.
Quant à la profession, elle se prive de prouver qu’elle veut pour elle-même un destin élevé. On rendra d’ailleurs justice aux leaders des réseaux de mandataires : d’abord opposés à cette disposition qu’ils n’avaient pas demandée en 2014 parce qu’ils n’avaient pas voix au chapitre, ils sont désormais majoritairement désireux de la voir entrer en vigueur. Sans doute parce qu’ils ont plus à cœur que les autres de démontrer leur attachement à la compétence, que la profession établie continue à l’accuser de négliger. Et à laquelle elle-même ne fait pas la place qu’elle devrait. Bien plus qu’une polémique ou un thème de débat, c’est une question vitale pour les intermédiaires.