Il n’aura échappé à personne que le syndic bashing est à la mode, Matera puis Bellman se sont attirés successivement les foudres de la FNAIM et de l’ANGC (Association Nationale des Gestionnaires de Copropriétés) pour des publicités dénigrant la profession.
Après tout, il ne faut pas s’en étonner, la mode est à la désintégration des modèles traditionnels, et pour attirer le chaland, certains ont cru qu’il fallait les désigner à la vindicte populaire.
En 2018 c’était au tour des professionnels de la transaction qui ont bien cru vivre leurs derniers jours avec l’arrivée des modèles à la Purplebricks, qui plus est financé par Axel Springer, dont on ne dira jamais assez qu’il est lui-même financé par … les agences immobilières. Et pourtant force est de constater que depuis 2014 l’équilibre du marché semble ne pas avoir beaucoup changé : les néo agences sont devenus des professionnels de l’immobilier, et la disruption n’est pas arrivée, c’est juste le business model de ces nouveaux acteurs qui est différent.
Alors faut-il s’en inquiéter ou doit-on en tirer des leçons ?
Premièrement, c’est un fait, le marché résidentiel reste un marché globalement intermédié. On estime que la part des transactions réalisées par les particuliers n’excède par 30% et que les syndics bénévoles ne représentent pas plus de 15% du marché. Seul le marché de la gestion locative serait le moins intermédié si l’on fait abstraction du parc public, c’est 40 à 50% des lots qui seraient administrés par un professionnel.
La recette pour disrupter les professionnels de l’immobilier
Pour desintermédier une profession il faut un subtil cocktail alliant une très grande maturité de la clientèle, des ressources financières extrêmement importantes pour migrer une population acquise aux professionnels vers des modèles plus nouveaux, une énorme insatisfaction des utilisateurs, une distorsion trop grande entre la valeur perçue et le coût des prestations et enfin et surtout une absence de réaction des professionnels
La désintermédiation de l’agent immobilier
En 2017 une étude[1] réalisée par Consortium immobilier montrait que 68% des sondés avaient une mauvaise image de l’agent immobilier et plus de 50% ne souhaitaient pas passer par lui pour vendre son bien immobilier. Pourtant, il représente 70% des transactions, c’est donc la preuve que l’agent immobilier reste indispensable dans ce processus. On estime d’ailleurs que 70% des Français démarre leur projet de vente via un site de particuliers à particuliers mais que ces derniers n’interviennent que pour 19% des transactions, donc ils recourent finalement à un professionnel pour finaliser leur vente.
Côté vendeur la vente d’un bien est un acte chronophage. Certaines ventes nécessitent une expertise dans le cadre d’une succession ou d’une vente complexe avec multiplicité de vendeurs. Ou encore dans le cadre d’un bien professionnel ou spécifique, le recours à un professionnel est inévitable. En outre les professionnels sont désormais bien outillés tant pour les estimations que pour rendre plus visibles leurs annonces.
Du point de vue de l’acquéreur, étant donné que ce n’est pas lui qui paye la commission mais le vendeur, et dans un contexte de tension entre l’offre et la demande, l’intermédiation ne pose globalement pas de problème, elle est même un élément d’assurance et une aide à la négociation. De plus, le parcours acquéreur est relativement bien digitalisé maintenant, les portails ont d’avantage intégré les demandes du consommateur (géolocalisation, estimation, visites virtuelles, …).
Du côté des startups la desintermédiation est une innovation d’usage qui, pour être adoptée, nécessite d’énormes investissements en marketing de marque et en acquisition de leads. Or, les portails immobiliers et les professionnels investissent déjà énormément chacun. Un nouvel acteur ou un nouveau modèle arriverait en concurrence avec une multiplicité d’acteurs déjà installés et très régionalisés. Les investissements à réaliser devront être colossaux et continus, ce que des investisseurs français auraient du mal à réaliser.
Je prends donc le pari que le marché restera intermédié par les professionnels dans la transaction. Ce qui ne signifie pas que le marché ne va pas bouger, les efforts sont à observer du côté des nouveaux acteurs, dites « néo agences » et des acteurs traditionnels et notamment les réseaux de mandataires pour d’avantage travailler l’expérience client et l’expérience digitale tant du vendeur que de l’acquéreur.
Et les néo agences dans tout ça ?
La taille du marché, la pénurie d’offres et la multiplicité des acquéreurs vont permettre à tous ces acteurs de tirer leur épingle du jeu. Au Royaume-Uni, on estime à 4% la part de marché des néo agences[2], c’est-à-dire peu ou prou la part de marché du plus gros réseau de transaction en France, ce qui n’est pas si mal en si peu de temps. En France, les acteurs tels que Proprioo, Liberkeys ou Hosman se font une place mais la concurrence est rude et leur absence de proximité pourrait les désavantager ainsi que leur modèle de déploiement qui est moins agile que celui des réseaux de mandataires, plus présent dans les zones rurales. Il faudra donc à l’avenir compter sur ces nouveaux professionnels, sans toutefois s’en inquiéter outre mesure selon moi car il ne faut pas oublier que le véritable concurrent du professionnel, reste le particulier, et c’est là que le meilleur atout des professionnels reste encore dans leur manche, perdu dans la doublure : le mandat exclusif. Partout où le mandat exclusif s’est imposé grâce au MLS, les taux d’intermédiation ont explosé comme aux Etats-Unis ou dans les pays nordiques.
Les acteurs traditionnels de la gestion locative ont des raisons de s’inquiéter
Le marché de la gestion locative est, quant à lui, le marché le moins intermédié. En effet, la majorité des propriétaires ont moins de deux biens et, une fois installé, un locataire part en moyenne tous les trois ans. Le recours à un professionnel dans ce contexte est moins évident. Néanmoins, l’immobilier locatif est tendance et les multipropriétaires de plus en plus nombreux, une aubaine pour les nouvelles plateformes de gestion locative, moins couteuses qu’un professionnel classique de l’administration de bien, avec des solutions technologiques très séduisantes pour les propriétaires bailleurs. Si ces acteurs demeurent des professionnels assujettis à la carte G, ils n’en demeurent pas moins qu’ils pourraient prendre les parts de marché que les gestionnaires traditionnels n’arrivent pas à prendre. Il faut d’ailleurs noter au passage que les réseaux de mandataires comptent bien participer à la fête en investissant dans des « nourrices ».
La guerre des syndics aura bien lieu
Quant aux syndics, ils font face à plusieurs défis : rentabilisation, automatisation des tâches à faibles valeur ajoutées, recrutement, croissance organique. Il est admis qu’en deçà de 50 immeubles une activité de syndic n’est pas rentable et passé une certaine taille, les cabinets sont donc tentés de céder leur portefeuille et l’on assiste depuis quelques années à une véritable concentration entre les mains des 3 majors Nexity, Foncia et Citya avec des niveaux de valorisation indécents. C’est une profession en tension qui fait l’objet actuellement d’une campagne de dénigrement sans précédent des nouveaux acteurs tels que Matera, qui d’ailleurs vient d’être condamné pour ce motif alors que les professionnels voulaient le faire condamner pour exercice illégale de la profession, mais n’ont pas obtenus gain de cause. Pour faire évoluer cette profession, il y a deux voies possibles : la désintermédiation ou la digitalisation du professionnel.
En France, Matera a ouvert la porte à la desintermédiation de la profession de syndic, en proposant aux copropriétaires de se passer des services d’un syndic professionnel et en lui offrant les mêmes outils en plus d’un backoffice juridique et comptable, et tout beaucoup moins cher ! Or, tous ceux qui un jour ont été responsable d’un conseil syndical d’une copropriété un peu conséquente savent que sans le syndic ils seraient complètement perdus : législation folle, activité chronophage, guerres de voisinage, personne ne souhaiterait à son propre ennemi d’endosser le dur rôle de syndic de copropriété à titre bénévole. Certes quand tout va bien qu’il n’y a pas beaucoup de travaux et quand tout le monde s’entend à merveille, et qu’un dévoué retraité accepte de porter la copropriété, tout va bien, mais ce n’est pas la rémunération du syndic qui pèse le plus lourd dans les charges de copropriétés, si les copropriétaires ne sont pas contents de leur syndic, ce n’est pas à cause des charges, je crois simplement qu’il est possible d’apporter un meilleure service en communiquant mieux et en automatisant les tâches les plus ingrates et tout ça au même prix.
Ce modèle désintermédié me semble donc difficile à installer dans le paysage français pour le moment, mais en revanche, il doit inciter fortement le professionnel à adopter des outils plus digitaux, pour gagner en rentabilité et en confiance. Le point d’achoppement se situe au niveau des outils métiers qui viennent à peine de faire leur entrée dans le monde Saas. Les éditeurs de logiciels semblent plus conservateurs que leurs propres clients et une véritable barrière à l’entrée pour les solutions tierces innovantes qui pourraient s’y greffer. Il y a donc selon moi une place pour des acteurs professionnels, tels que Homeland, Hellosyndic ou White Bird, qui sont hybrides, pratiquent des tarifs abordables avec des outils digitaux prenant en compte l’expérience utilisateur et l’automatisation des process. Ces acteurs vont être appelé à se développer dans les années à venir avant que les acteurs traditionnels n’opèrent une mutation.
Repenser les modèles traditionnels
Pour conclure, je crois profondément que la profession a su prendre conscience assez vite du risque de disruption réel qui pèse sur eux dans un monde plus digital. Mais pour autant, les ingrédients pour une désintermédiation totale ne sont pas encore réunis, c’est pourquoi il est urgent de repenser les modèles traditionnels dans une approche hybride en s’appuyant sur ces startups qui ont souvent compris plus vite les besoins des nouveaux consommateurs. En cela, les professionnels doivent encourager l’innovation, la promouvoir et la financer dans des modalités qui sont encore à inventer.
[1] https://www.consortium-immobilier.fr/sondage-que-pensent-les-francais-des-agents-immobiliers.html#:~:text=42%25%20des%20personnes%20interrog%C3%A9es%20ont,une%20bonne%20image%20d’eux.
[2] https://thenegotiator.co.uk/revealed-how-far-purplebricks-has-really-eaten-up-high-street-market-share/