La transition environnementale est devenue une idéologie à part entière, comme l’était le climatoscepticisme. Oui, il y a bien une idéologie écologique, au-delà de la conviction démontrée qu’il faut réellement agir pour sauver la planète, en particulier en maîtrisant les émissions de gaz à effet de serre du parc de logements — précisons qu’ils en représentent un sixième —. Mais quelle est la différence entre conviction et idéologie ? L’idéologie repose sur un enthousiasme quasi religieux, emportant tout sur son passage, qui prend vite la forme de l’intégrisme quand on en vient à objecter ou seulement à nuancer. L’idéologie simplifie et dupe, ceux-là mêmes qui l’ont installée. Elle est dangereuse et elle a vocation à créer des rapports de domination des prêtres de la croyance envers les fidèles et des rapports de rejet envers les mécréants.
Alors, à quels indices voit-on qu’on est passé, sans s’en apercevoir, de la conviction incontestable à la foi religieuse et irrationnelle ? Trois grandes preuves à cela : la condamnation, l’impéritie financière et l’illusion de la connaissance partagée. Ces maux sont en train d’éloigner les élites du bon peuple, celui des ménages français et des professionnels de l’immobilier à leur service. Il faut craindre cette fracture de la France en deux, les gouvernants d’un côté, les gouvernés de l’autre. Analyse d’un cancer qui mine notre pays sans qu’il le ressente, ou presque.
«On n’embarquera pas la population sans lui dire combien de miles nous séparent du port d’arrivée, sans lui révéler que la mer sera grosse, en désignant un cap invisible et idéal.»
Des condamnations malhabiles
La ministre chargée du Logement, déléguée auprès du ministère de la Transition écologique, nous a donné récemment bien malgré elle, le spectacle de la condamnation facile. D’une phrase malhabile, elle a montré d’un doigt accusateur les maisons individuelles consommatrices de terrains, bâties sans souci de l’environnement, obligeant à des déplacements eux-mêmes générateurs de nuisances. Elle parlait, a-t-elle précisé, des pavillons en lotissement construits durant les années 1960 et 70… Oui mais voilà, les familles qui ont acquis ces logements ne sont coupables de rien et ils ont beaucoup travaillé pour accéder à la propriété. Réécrire l’histoire n’a pas de sens et les blesse inutilement. Il faut désormais les aider à améliorer ces maisons pour les rendre compatibles avec les exigences du moment et organiser leur transition énergétique. Ne donnons pas de leçon aux Français, pas de cours magistral. En plus, Emmanuelle Wargon n’est pas de ce bois : elle respecte et ne se pousse pas du col. Elle est une figure très humaine de la politique. Elle succombe sans le sentir à l’idéologie ambiante, qui finit par tancer, par exclure, par disqualifier.
Une imprévision économique fautive
L’imprévision économique, quant à elle, est étonnante : ce sont plus de 1 000 milliards d’euros qui vont devoir être engagés au cours des dix prochaines années pour redresser la vertu énergétique des logements, que ce soit des maisons individuelles, des logements en copropriété, qu’ils soient loués ou occupés par leurs propriétaires, qu’ils soient privés ou intégrés au parc HLM. On voit bien, et comment les contribuables ne le comprendraient-ils pas, que les aides envisagées ne constitueront jamais qu’une infime partie de cette enveloppe, sans doute 10 ou 15 % au mieux, et légitimement fléchés vers les plus faibles revenus. Aucune programmation de cet effort national, aucune anticipation sérieuse et complète de ce que l’offre bancaire privée va pouvoir soutenir, et de ce que l’État et les collectivités pourront faire. Les Français, eux, ont peur et n’osent se projeter. S’ils s’y hasardent, c’est pour dire qu’ils reculeront devant l’obstacle : les bailleurs pour trop d’entre eux sont prêts à vendre. Les copropriétaires sont prêts à procrastiner, planqués derrière le collectif dont la majorité ne se dégage pas. Les propriétaires de maisons individuelles attendent derrière leurs moyens comptés. On n’embarquera pas la population de notre pays sans lui dire combien de miles nous séparent du port d’arrivée, sans lui révéler que la mer sera grosse, en lui désignant un cap invisible et idéal.
«À écouter nos dirigeants, la France des propriétaires et des copropriétaires serait une et indivisible.» Henry Buzy-Cazaux Président fondateur de l’Institut du Management des Services Immobiliers, vice-président de FIABCI-France
L’illusion d’une connaissance partagée
Enfi n, le dernier sondage réalisé en septembre par OpinionWay révèle que 11 % des Français connaissent MaPrimeRénov, que 4 % savent que l’Agence national de l’habitat peut les aider à rénover leur logement, et que 4 % encore ont vent des certificats d’économie d’énergie (CEE) — qui existent depuis 2005 —. En les interrogeant sur les obligations règlementaires, on aurait obtenu des scores plus bas encore. D’autant que la loi Climat-Résilience a été promulguée en plein mois d’août 2021, quand les Français avaient pour beaucoup la tête en vacances. Et si on avait ciblé les agents immobiliers et les administrateurs de biens, on eût également été édifié. Il faut n’avoir pas conscience de ces réalités pour croire que la nation adhère massivement au détail de la méthode et avance comme une armée en marche. À écouter nos dirigeants de tous bords, la France des propriétaires et des copropriétaires serait une et indivisible, et ne tremblerait pas devant le défi de la transition environnementale des logements. Si, elle tremble parce qu’elle ne sait pas précisément où elle va, ou elle doute quand elle ne sait pas. Le sombre épisode du nouveau diagnostic de performance énergétique (DPE) non fiabilisé en aura rajouté : si même les outils diagnostiques manquent de crédibilité, si les boussoles sont détraquées, comment marcherait-on avec assurance ? Nos gouvernants vont droit vers un écueil terrible qui peut faire éclater la société, rompre sa solidarité fondamentale de droit et de fait. Nous sommes en train de mesurer quel succès peut remporter dans l’opinion un discours politique élémentaire, simpliste et empreint de raccourcis, diront certains. Alertons plutôt sur les dangers de discours éthérés, qui nuisent à la cause environnementale avec l’intention louable de la servir.