En septembre dernier le petit éditeur de logiciel de transaction Netty rejoignait la famille du grand éditeur de logiciels Septeo qui avait déjà absorbé la solution Modelo leader dans la rédaction d’actes en lignes. Mais ce n’est pas tout, Septeo réalisait l’acquisition de Kinaxia quelques mois plus tôt, lui-même absorbant la startup Solen. Ce jeu de poupées russes n’aurait pas été possible sans l’arrivée d’un fonds d’investissements Anglais faisant de Septeo une des licornes françaises avec une valorisation dépassant le milliard d’euros. Tout le monde suit ?
Ce n’est pas encore terminé, en novembre dernier on apprenait l’acquisition du groupe Gercop, déjà leader sur les métiers des logiciels de transaction et de gestion, par le groupe DL Software, spécialisé dans l’édition de logiciels pour les BTP. Puis Jestimo, spécialisé dans les outils d’avis de valeur suivait le mouvement en rejoignant le même groupe. Là encore, une acquisition qui n’aurait pas été possible sans l’arrivée d’un fonds d’investissement américain TA Associates au capital de DL Software en février dernier. On se souvient que Gercop avait lui-même absorbé la société Poliris racheté au groupe Axel Springer pour son logiciel et sa solution d’avis de valeurs quelques années plus tôt.
Les niveaux de valorisation astronomiques de ces transactions réalisées nous invitent à nous interroger sur l’avenir du marché du logiciel immobilier en France.
La croissance externe la voie pour grandir vite
Premièrement, il ne s’agit pas pour ces nouveaux groupes d’un coup seulement financier. On savait déjà que, dans ce secteur, pour grandir il faut racheter son concurrent. En effet, la taille du marché français n’étant pas illimitée, les acteurs, déjà nombreux, se partagent le gâteau. Les évolutions technologiques avaient déjà contraint certains éditeurs à se rapprocher ces 5 dernières années, on pense à La Boite Immo qui a fait des acquisitions successives avec immovision, Fnaim connect et immostore en un temps record. La course pour la première place était déjà donc lancée.
L’affaire prend désormais une nouvelle tournure avec la constitution de 4 groupes importants : DL Software, Septeo, La Boite Immo et DP Logiciels. Mais nous pouvons déjà parier sur le fait que bien que la concurrence se réduise, nos 4 nouveaux GAFA de l’immobilier français, ne vont pas s’arrêter là. Puisqu’il n’y a plus de concurrents à racheter, alors il faut étendre son empire autrement. Dans ce petit jeu, la maîtrise de la donnée immobilière et la constitution d’une chaine de valeur intégrale de traitement de celle-ci pourrait devenir le véritable but de ces nouveaux « géants ». Les acquisitions vont désormais se porter vers des solutions de l’ecosystème, et les startups vont devenir bientôt la cible de ces nouveaux géants, et c’est tant mieux !
Des solutions métier plus ouvertes à l’intégration …
Deuxièmement, dans un marché en mutation, où les enjeux technologiques n’ont jamais été aussi importants, et les disruptions complexes à réaliser, les professionnels de l’immobilier semblent bien résister, en France, aux tentatives de désintermédiation. L’outil du quotidien de l’agent immobilier ne peut plus désormais supporter les trop grosses coutures entre des fonctionnalités essentielles : Partir d’une estimation en ligne pour rédiger un mandat de vente en signature électronique et transmettre les données du mandat vers le notaire, le tout sans ressaisie, c’est désormais le minimum supportable par une profession souvent rétive à l’utilisation de CRM.
Néanmoins, le logiciel, tant dans la transaction que dans la gestion et même le syndic, est le passage obligé pour toutes les innovations qui ne sont pas portées par les éditeurs historiques, mais qui pourtant auraient un intérêt évident pour les professionnels. En effet, combien d’initiatives extra ordinaires pour simplifier la gestion ou le syndic se sont heurtées à l’impossibilité d’intégration dans l’outil métier ? A contrario, quand cela a été réalisé, par exemple quand Modélo a intégré l’outil immofacile, cela a été un véritable levier d’efficacité pour les agents immobiliers, contribuant au succès de l’éditeur historique dans les réseaux d’agences autant que celui de la startup Modélo, qui, ironie du sort, est tombée désormais dans l’escarcelle du concurrent Septeo.
Le retard du marché dans sa digitalisation et le désamour des français pour ses professionnels trouvent une part de responsabilité du côté des éditeurs, parfois hostiles à l’ouverture de leurs données, préférant réaliser eux même, en moins bien et en plus de temps, des fonctionnalités qui auraient pu contribuer à digitaliser une profession plus vite.
Les cycles technologiques successifs ont déjà permis aux éditeurs de logiciels de transaction d’opérer leur révolution et de comprendre l’intérêt de s’ouvrir. Quand Apimo et Netty mettent à disposition une API permettant l’intégration de nouveaux outils tiers dans leur logiciel, le nouvel arrivant SweepBright choisi d’opérer cette mutation avec Zapier pour une intégration sans couture et sans développement de toutes sortes d’outils.
… mais pas encore pour la gestion et le syndic
Mais les logiciels de gestion locative pour les professionnels et les outils pour les syndics n’en sont pas encore là, ce qui rend ces marchés encore difficiles à opérer pour les startups, qui, pour la gestion locative, ont préféré opter pour redévelopper entièrement les logiciels, à l’exemple du petit Ublo s’attaquant au gros Sopra dans le domaine de logement social.
Quant au marché du syndic, il accuse toujours un déficit d’image et d’optimisation que les arrivants comme Matera, Bellman ou Homeland ont bien compris. Chacun avec leur approche différente, ils pourraient bien séduire les nouvelles générations de propriétaires, alors que ce qui les différencie fondamentalement des autres, ce sont les outils métiers.
Espérons donc que la vision de nos nouveaux géants contribue davantage à offrir une expérience utilisateur toujours plus simplifiée, au service des professionnels et en vue de la fluidification des opérations de transaction et de gestion.
C’est pourquoi il est urgent de militer pour l’ouverture des logiciels et par un soutien aux startups dans leurs tentatives de rejoindre les professionnels dans leur mutation.
Car quand la génération Y constituera 75% de la population active en 2025, et qu’elle déménagera 15 fois dans une vie alors que la génération précédente n’aura déménagé que 5 fois, il sera déjà trop tard pour se demander si les professionnels ont bien fait leur boulot, la satisfaction des consommateurs devenus rois sera la véritable clé de compréhension des sous-jacents de ce marché.