Une révolution en pleine expansion. C’est le bouleversement que connaissent les métiers de l’immobilier depuis le début de la pandémie. Longtemps, la digitalisation du secteur a été prophétisée. Il a néanmoins fallu une crise à la hauteur de celle du Covid-19 avec ses multiples confinements pour que, de l’aveu des professionnels, ils rattrapent leur retard sur les États-Unis. Car outre-Atlantique, la visioconférence, les visites virtuelles ou encore les transactions réalisées via les réseaux sociaux sont des pratiques communes : « Cela fait 10 ans qu’il m’arrive de vendre des biens sans jamais rencontrer le client », indique Jimmy Morose, agent immobilier pour Nestenn Miami. « La pandémie a d’ailleurs accéléré ce mode d’achat et les agents font des transactions sur Facebook ou Instagram. Chez nous, il est capital de maîtriser ces outils, surtout si l’on souhaite toucher les jeunes générations. Lorsque je poste un bien sur un de mes comptes, je sais que j’ai 8 chances sur 10 d’obtenir un résultat concret derrière », renchérit-il.
Le luxe, notamment pour ce qui est des réseaux internationaux, est déjà converti en partie à ces pratiques. Barnes a vendu durant la pandémie en moyenne un bien en ligne par mois, sans que l’acquéreur ne le visite. Chez Engel & Volker, les outils digitaux ont permis à l’entreprise de faire croître son volume de ventes de 34 % en France : « Nous avons systématisé le recours à la visite en Facetime ou en visioconférence et il a fallu s’équiper en stabilisateurs », précise Alexis Caquet, directeur général d’Engel & Völkers Paris. Idem pour Sotheby’s qui investit toujours plus le terrain des réseaux sociaux pour vendre.
La Proptech essentielle pour les pros
Quant aux autres agences, la période fut l’occasion d’un grand rattrapage réussi en grande partie grâce à la richesse du secteur de la Proptech. En 2020, on comptait 368 start-up de la tech qui oeuvraient dans l’immobilier selon une étude du cabinet Klein Blue Partners, en partenariat avec le Crédit Agricole d’Île-de-France. Aujourd’hui, c’est près de 536. Des entreprises dont le but est d’accélérer les métiers de l’immobilier en industrialisant les tâches les plus répétitives. L’outil LabSense par exemple, automatise la rédaction de contenus pour les agences grâce à une intelligence artificielle. « Notre IA s’appuie les données des biens communiquées par l’agence comme le DPE, la superficie ou tout autre élément lié au logement. On vient ensuite enrichir l’annonce avec les lieux près du bien et l’on donne des informations sur les prix de l’immobilier, publiées sous la forme de mini-articles pour les réseaux sociaux », explique Guillaume Desombre, CEO de l’entreprise.
Homiwoo va encore plus loin. La plateforme d’estimation et d’analyse du marché immobilier se sert de son IA pour fournir aux agents des données ultra précises sur les prix, les loyers et les indicateurs fi nanciers sur l’ensemble du territoire français : « Nous ajoutons à nos données des informations contextuelles. Grâce aux modélisations effectuées par notre IA, nous pouvons savoir qu’un bien se vendra à 100 000 € en 80 jours dans tel quartier, ou à 120 000 € si la transaction est réalisée 100 jours plus tard. Pour cela nous comparons des centaines de milliers de données entre elles », souligne William Violet, co-fondateur de la start-up.
Informations sur le marché, mise en relation avec un courtier, home staging virtuel, redirection vers un notaire ou un architecte d’intérieur… les services différenciants, encore accessoires il y a quelques années sont, de l’avis des patrons de réseaux, devenus incontournables.
La formation continue
Le digital et l’automatisation des processus les plus chronophages permettent également au professionnel de passer plus de temps à maintenir un lien de confiance tissé avec son client : « Il y a 20 ans, nous avions un point de contact avec une famille à un moment donné et c’était fini », constate Christine Fumagalli, présidente du réseau d’agences immobilières Orpi. « Désormais, le parcours résidentiel se fractionne davantage. Les clients conservent leur bien 5 ou 7 ans et sont amenés à faire appel à nous plus souvent. Grâce au temps gagné avec le numérique, nous entretenons ce lien et nous pouvons suivre une personne tout au long de sa vie », ajoute-t-elle. Ce temps gagné est également l’opportunité pour le professionnel de se former. Un point désormais indispensable pour tout agent immobilier qui souhaite rester dans la course : « Il faudrait qu’un négociateur se forme toutes les deux semaines pour ne pas être dépassé », renchérit la patronne d’Orpi.
Les réseaux mettent à disposition de leurs collaborateurs différentes solutions en ce sens. Chez Era, on forme les professionnels à l’usage des nouvelles technologies mais aussi à prendre la parole sur les réseaux sociaux. Chez Orpi, la plateforme 360Learning permet au professionnel d’accéder à des tutoriels sous la forme de vidéo sur les différents outils technologiques mis à sa disposition par le réseau. « Nous investissons 8 à 10 fois plus que l’obligation légale en formation. Les collaborateurs sont formés aussi bien pour gérer une AG de copro en visio, comprendre le fonctionnement des lettres recommandées electroniques ou encore pour s’acclimater aux enjeux écologiques », insiste Frédéric Chaminade, directeur général de Citya.
Car entre les objectifs que la France s’est fixée en matière de diminution des émissions de carbone et la loi Climat et Résilience, la consommation énergétique des bâtiments fait partie des connaissances que le professionnel doit maîtriser. « En digitalisant un maximum de tâches, nos équipes ont davantage de temps pour se rendre dans les immeubles, rechercher des subventions, mettre en place un calendrier de travaux. Nous avons mis en place des modules de formation à destination des gestionnaires de copropriétés et des comptables afin qu’ils maîtrisent parfaitement ces différents points. Chez Arche, la formation fait partie de notre ADN, il est essentiel que tout le monde soit formé », assure-t-il.
«Avec le développement des outils numériques, les jeunes sont de plus en plus nombreux à se tourner vers les métiers d’administration de biens.» Christophe Voiret, enseignant à l’Institut du Management des Services Immobiliers.
Des tabous en passe d’être levés ?
Reste que certains tabous demeurent. L’immobilier prédictif par exemple et la possibilité de « prédire » à l’échelle d’un quartier l’évolution des prix comme le proposent certaines entreprises américaines, ne semblent pas intéresser les professionnels de la pierre français. Idem pour la mise en scène du négociateur sur les réseaux sociaux. Si aux États-Unis, l’agent immobilier est « une micro-entreprise dans l’entreprise avec des clients qui nous sont fidèles personnellement », comme l’explique Jimmy Morose, la France semble à des années-lumière de cette tendance. La marque passe avant le professionnel. Même constat pour les transactions 100 % dématérialisées. Là où, en France, les transactions réalisées de cette façon sont rares, le phénomène se démocratise outre-Atlantique auprès des jeunes. « Il y a de grandes différences culturelles entre nos deux nations qui expliquent les réticences des Français sur ce point. Pour les jeunes Américains, l’immobilier est davantage un bien de consommation là où les Français pensent qu’ils resteront 20 ans dans leur logement », indique Xavier Lalande, directeur général du réseau Optimhome.
Mais la situation n’est peut-être pas immuable. Dans les écoles de formation aux professions immobilières, le rôle du numérique s’intensifie : « La digitalisation du métier n’est pas l’ubérisation du métier », prévient Diane Gillouin, responsable des relations extérieures pour l’École supérieure de l’immobilier. « C’est pourquoi les enseignements professionnels que nous dispensons permettent à des start-up sélectionnées par le bureau de la commission de la formation nationale de la Fnaim de venir sur place pour discuter de ce qu’ils font avec nos étudiants. Nos jeunes ont également accès à des conférences en visio sur le sujet et peuvent faire leur alternance au sein de ces entreprises ».
La place de la « Tech » est telle que certaines professions sont désormais plébiscitées par les plus jeunes : « Il y a 4 ou 5 ans, la majorité des étudiants voulaient faire de la transaction. Avec le développement des outils numériques, ils sont de plus en plus nombreux à se tourner vers les métiers d’administration de biens ; 40 % de nos jeunes font de la gestion locative ou de la copropriété », observe Christophe Voiret, enseignant à l’Institut du Management des Services Immobiliers. « Ces nouveautés complexifient les métiers de l’immobilier. En plus du juridique, il faut désormais maîtriser la dimension commerciale, le numérique, le marketing, et les questions environnementales ». De quoi rendre la profession encore plus riche qu’elle ne l’était .