« Pour une rhétorique « soft » des annonces immobilières », Fabrice Larceneux chercheur CNRS

La qualité de rédaction d’une annonce est cruciale pour une bonne stratégie de communication et permet même de vendre plus cher.

«Coup de cœur !», «À saisir immédiatement !», «Rare à la vente !». Quel agent immobilier n’a pas utilisé ces arguments dans les annonces ? Et à juste titre ! Luchtenberg et ses collègues chercheurs ont en effet démontré que les mots positifs avaient un impact plus fort sur  l’intention de visite qu’une belle photo. Récemment, les chercheurs Shen et Ross ont même remarqué que lorsque les annonces  contiennent des éléments rhétoriques qualitatifs (des informations « soft ») allant au-delà des caractéristiques classiques du bien (que  sont les informations « hard » : nombre de pièces, etc.), les biens pouvaient se vendre jusqu’à 15 % plus cher. Une stratégie ainsi payante à  plusieurs titres.

Pourtant, la rhétorique utilisée par les agents immobiliers a souvent été source de moquerie en France et à l’étranger. La BBC avait par exemple créé un dictionnaire permettant de décrypter le contenu des annonces. En voici quelques exemples : « A l’avantage  de… » : énonce une évidence, comme «a l’avantage d’avoir un toit, un sol, des murs » ; « Studio » : vous pouvez faire la vaisselle, regarder  la télé et ouvrir la porte d’entrée sans vous lever des toilettes ; « Voir l’intérieur absolument » : aspect extérieur hideux ; «rafraîchissement  à prévoir » : démolition à prévoir, etc. Ce type de rhétorique a contribué à la mauvaise réputation des agents immobiliers outre-manche. Ils font même l’objet de blagues récurrentes comme celle-ci : « Quand savez-vous qu’un agent immobilier ment ? » Réponse : «quand il parle».

«L’annonce a pour objectif de renseigner le lecteur sur le bien, mais aussi de le projeter dans un monde plus beau.» , Fabrice Larceneux Chercheur CNRS Dauphine Recherche en Management .

Un vocabulaire vendeur

Plus sérieusement, le vocabulaire utilisé par les professionnels dans les annonces pose la question de son efficacité. De l’euphémisme au  superlatif, en passant par l’hyperbole, ces formes littéraires servent à capturer une relation subtile entre l’offre et la demande, faisant  émerger un dialogue entre les aspirations des acheteurs et les promesses des vendeurs, ce qui forme la base de leur rencontre.

L’aspect parfois forcé des expressions dans les annonces peut en réalité être très utile : l’emphase autorise l’acheteur potentiel à entrer  dans un univers idéalisé, elle lui transmet une idée du style de vie que le bien immobilier permet. Ainsi, l’annonce a non seulement pour  objectif de renseigner le lecteur sur le bien, mais aussi de le faire rêver, de le projeter dans un monde plus beau, plus désirable. « Baigné de  lumière » plutôt que « orientation sud » facilite l’imagerie mentale et la projection de l’acheteur dans le bien. Les acheteurs potentiels  ne sont évidemment pas dupes des discours commerciaux. Ils l’acceptent et même ils l’attendent, d’autant plus qu’ils ont pertinemment les  moyens de les décoder. De fait, le discours immobilier est bien plus subtil et complexe qu’une première lecture pourrait le laisser  penser. Il sert un storytelling et met en scène le bien pour le réenchanter. On dépasse le critère fonctionnel pour favoriser des émotions  positives et la projection.

Notons que malgré l’apparente standardisation des discours commerciaux sur les portails Internet, les contenus des annonces varient  selon les lieux, les saisons ou les tensions du marché. Pour un bien similaire, le contenu d’une annonce change ainsi dans le temps et dans  l’espace car les discours marketing sont le reflet de forces économiques, de contextes géographiques et de dynamiques de marchés. Plus le  marché est à la hausse, plus les annonces affichent du contenu émotionnel.

«On dépasse le critère fonctionnel pour favoriser subtilement des émotions positives et la projection.» , Fabrice Larceneux Chercheur CNRS Dauphine Recherche en Management .

La rédaction automatique, une bonne idée ?

Aujourd’hui, l’utilisation des émotions dans les annonces est challengée par l’arrivée de l’intelligence artificielle. Avec un logiciel adapté, il  suffit de télécharger les photos du bien, de renseigner ses caractéristiques et d’appuyer sur un bouton pour qu’un texte automatique soit  généré. Si cela ne convient pas, on appuie à nouveau. Le logiciel comprend que la proposition n’est pas pertinente et cherche à l’améliorer.  Plus encore, le robot peut écrire des lettres personnalisées aux contacts d’un carnet d’adresses. Utilisées aux États-Unis, ces lettres  automatiques posent en réalité des questions de protection de la vie privée. Elles utilisent beaucoup d’informations personnelles et  sensibles pour qualifier le style de vie des clients. Outre les questions légales, si le destinataire s’en rend compte, l’effet peut être  dévastateur pour l’agent immobilier.

Quand une annonce fait le buzz

Curieusement, les émotions négatives peuvent aussi être utiles pour se démarquer et faire le buzz : un agent immobilier américain a mis en vente une maison à 590 000 dollars dans un quartier où les biens similaires avoisinaient les 800 000 dollars. Ce qui peut apparaître comme une véritable affaire s’explique en fait très bien : l’intérieur de la maison était totalement saccagé, tagué et désaffecté depuis de nombreuses années. Une odeur putride s’en dégageait à cause de la nourriture abandonnée et des animaux morts. Un professionnel  rationnel éduqué au home-staging aurait voulu tout refaire, au moins en apparence, pour faciliter l’achat. Mais c’est exactement  l’inverse qui a été fait. L’agent a lui-même écrit l’annonce suivante : « Cette maison est le cauchemar de tout propriétaire. Si vous rêvez  d’un immonde taudis à transformer en bijou, alors c’est pour vous ! Venez visiter et tester vos limites ! N’allez pas voir le jardin et  n’ouvrez surtout pas le congélateur ».

Résultat : cette annonce a fait le buzz sur le portail Redfin. Elle a été vue plus d’un demi-million de fois. L’agent a rapidement reçu à  distance une offre ferme à 625 000 dollars d’un habitant de Denver. Sa réponse a été claire : aucune offre ne serait acceptée sans visite  préalable pour se rendre compte de l’odeur. Une stratégie que les robots auront du mal à imiter…

Sources : Luchtenberg K., M. Seiler & H.Sun (2019) Listing Agent Signals : Does a Picture Paint a Thousand Words ?, The Journal of  Real Estate Finance and Economics, 59(4), 617-648, Shen L and Ross, Stephen, (2021), Information value of property description : A  Machine learning approach, Journal of Urban Economics, 121

Pryce G. & S. Oates (2008) Rhetoric in the Language of Real Estate  Marketing, Housing Studies, 23:2, 319-348. 

 

Categories: Marketing
Fabrice Larceneux: Chercheur CNRS au centre de recherche DRM (Dauphine Recherche en Management), ancien élève de l’Ecole Normale Supérieure, agrégé d’Economie et Gestion, il est titulaire d’un doctorat en Sciences de Gestion de l’Université Paris Dauphine. Auteur de différentes publications scientifiques et de l’ouvrage Marketing de l’immobilier (Dunod), il assure des cours de marketing de l’immobilier à l’Université Paris-Dauphine.