La vie va si vite que l’on n’a pas le temps de se poser les questions fondamentales. Et pourtant, depuis un an, une interrogation s’impose à tous : quand serons-nous délivrés de la pandémie et de ses contraintes ? Quand nos existences cesseront-elles d’être en danger permanent ? Et dans le monde de l’immobilier, qui se demande si la décision publique est à la hauteur des enjeux ? Les projets de loi pleuvent, les règlementations se multiplient, au point que les lobbys jouent bien plus en défense qu’ils n’organisent le jeu. Ils n’écrivent ni l’histoire financière et fiscale, ni ne définissent vraiment le cadre d’exercice des activités. Mais alors, comment la politique du logement se fait-elle ?
Elle se fait étrangement quand on y réfléchit. On vous dira que tout change, que les centres de décisions sont éclatés, que le pouvoir n’est plus un et indivisible. Cela est vrai et il faut compter avec l’Europe, avec les collectivités locales, mais aussi avec le gouvernement et le Parlement. À cela s’ajoute le fait qu’au sein même de l’exécutif, le fonctionnement s’est compliqué : la plupart des décisions engagent plusieurs ministères et plusieurs ministres. Matignon et l’Élysée se mêlent de tout et tellement plus qu’avant. Certes. Il reste que pour le logement, l’État est compétent pour l’essentiel, jusqu’à définir le pouvoir exercé par les collectivités locales. Il écrit autant le scénario budgétaire que les règles civiles pour la construction, pour les rapports locatifs, pour la copropriété, pour l’accès au crédit, pour la protection des ménages. Ce qui se passe à cet égard depuis le début du quinquennat pour l’immobilier est singulier, pour ne pas dire pathologique. De fait, nous pouvons en retenir trois anomalies, sans doute aggravées par la crise sanitaire et les dérèglements qu’elle a entraînés dans la vie de la démocratie et de la République : l’absence de réforme d’ampleur, la dilution du pouvoir du ministre chargé du logement et le simulacre de concertation.
Les réformes en panne
En effet, le bilan des dernières années nous pousse à constater que les réformes de fond ne sont pas au rendez-vous. La transition énergétique aura obsédé le champ de la politique et il serait injuste de ne pas y voir un progrès majeur. Sauf que réformer, c’eût été reprendre les domaines existants et les moderniser. Or sur ce point, pas de progrès. La fiscalité immobilière n’aura pas été touchée alors qu’elle est depuis longtemps l’une des préoccupations majeures des professionnels du secteur et la suppression de la taxe d’habitation — peut-être la seule que la population ne mettait pas en cause — a tenu lieu de remise à plat définitive. Exceptée la modernisation de la norme relative aux personnes à mobilité réduite pour les promoteurs grâce à la loi ELAN, la question de la simplification des normes de construction est restée en jachère. Rien non plus sur la question foncière. Les évolutions digitales se montrent aussi timides : la numérisation des permis de construire eût exigé un big bang, sans doute comme celle de la gestion technique et juridique des immeubles. Même les confinements n’auront pas permis d’accélérer la transition numérique si nécessaire en la matière.
«Rien en matière de simplification des normes. Rien sur la question foncière.» Henry Buzy-Cazaux Président de l’Institut du management des services immobiliers
La dilution du pouvoir lié au logement
Un autre grief : le gouvernement n’a jamais confié autant de missions à des parlementaires ou à des experts. On pense notamment à Nogal, Lagleize, Démoulin, Sichel, Rebsamen… avec deux questions tout de même : que fait le gouvernement de ces travaux ? N’est-ce pas de son ressort que de diagnostiquer et de proposer des solutions ? Tout se passe comme si le gouvernement déléguait ainsi une partie de ses responsabilités. Cela peut s’entendre parfois, mais cela surprend quand cela devient une authentique méthode de pilotage politique. Quant à l’exploitation des travaux publiés pourtant prometteurs, elle laisse sur sa faim.
On ne parle plus de la proposition de loi sur les rapports locatifs de Mickaël Nogal après plus de deux ans d’efforts du député pour convaincre. Des suggestions de Jean-Luc Lagleize pour réduire le coût du foncier et augmenter l’offre de logements accessibles aux Français, il reste bien peu. Nicolas Démoulins n’a pas encore non plus inspiré d’évolution règlementaire malgré la qualité de son rapport sur la prévention des expulsions locatives. Olivier Sichel a eu plus de réussite concernant la réhabilitation énergétique des logements privés, mais le gouvernement aurait pu le consulter en amont de la rédaction du projet de loi. Les levées de bouclier contre le rôle d’accompagnateur de la rénovation des ménages sont virulentes, témoignant de l’impréparation du sujet et de la dilution du pouvoir lié au logement .
«Les organisations professionnelles ne sont associées que tardivement, quand tout est dans le marbre ou presque.» Henry Buzy-Cazaux Président de l’Institut du management des services immobiliers
Et si on nous consultait ?
Enfin, le dernier grief est déjà là en filigrane : le gouvernement ne pratique pas assez la coproduction des textes sur le logement avec les corps intermédiaires. C’est même sans doute pour cela qu’il choisit de missionner des élus ou des spécialistes de la société civile : leur légitimité tient lieu à ses yeux de concertation tandis qu’eux, en outre, n’imaginent pas rendre d’avis sans rencontrer ni auditionner les parties prenantes. Les organisations professionnelles et les associations se plaignent de n’être associées que très tardivement aux projets et décisions, quand tout est dans le marbre ou presque. Les collectivités locales quant à elles ne sont pas mieux loties. Ainsi, sans conteste, le règne du Président Macron aura été celui du divorce entre l’exécutif et les élus des territoires. Même les instances consultatives officielles, tel le Conseil national de l’habitat, sont appelées à se prononcer alors que l’encre des textes est déjà en train de sécher… Et si on nous consultait vraiment ?
Espérons que l’identification de ces défauts permette au quinquennat qui va suivre de s’y intéresser pour être plus efficace, plus moderne et plus juste pour le logement.