On ne parle pas dans notre pays de ce problème : le prix des logements est trop élevé par rapport à la capacité fi nancière des ménages. Il n’est pas seulement question de constater la cherté de l’immobilier résidentiel – ce que les observatoires font de plus en plus nombreux et avec une fréquence frénétique. Il est question de mesurer la distance grandissante entre les revenus des Français et les valeurs des logements.
Le phénomène affecte essentiellement les métropoles et certains territoires prisés pour l’attrait lié à leur situation géographique, à la mer, à la montagne ou dans des campagnes où il fait bon vivre. Ailleurs, il est moins marqué, mais rapporté au pouvoir d’achat des habitants locaux, il n’est pas sans conséquence sur le taux d’effort. Mesuré en années de revenus nets, indicateur habituel utilisé par les économistes spécialisés, ce taux est compris entre 4 et 10, faisant de notre pays un très mauvais élève de la classe européenne ou encore dans le concert plus large de l’OCDE.
Le poids du logement dans le budget des ménages
Ce constat en entraîne d’autres. Ainsi, la croissance est affectée par le poids du poste logement dans les budgets domestiques, et dans cette période de relance de l’économie par la consommation, en particulier dès que les contraintes sanitaires se seront desserrées, le préjudice est considérable. On sait aussi que la vigueur de la démographie en pâtit : la pièce de plus pour accueillir un enfant n’est pas à la portée de toutes les familles et ce fait limite la natalité. On n’ignore pas non plus que les difficultés attachées au remboursement d’un prêt lorsque survient le moindre accident de la vie peut compromettre l’équilibre d’un ménage : ce n’est pas un hasard si la proportion des couples qui se séparent dans les cinq années qui suivent leur formation est de l’ordre de 50 % dans nos grandes villes. On pourrait continuer la litanie des conséquences sombres de la cherté des logements et on aurait bien du mal en revanche à trouver des avantages à cette réalité ! Les esprits pervers diront que les agents immobiliers y ont intérêt : faux. Ils sont des professionnels du flux et c’est sur la fluidité du marché et la rapidité des transactions que repose leur modèle économique, en aucun cas sur le risque de fi xer des prix qui compromettent la liquidé des biens pris en mandat.
«On a tout essayé : réduction des aides, durcissement de l’octroi des crédits… rien n’y a fait.», Henry Buzy-Cazaux Président de l’Institut du management des services immobiliers
Le nouveau DPE, un levier inattendu
Comment faire baisser les prix ? On a tout imaginé et presque tout tenté, à l’exception d’un levier dont on ne maîtrise pas l’usage : les taux d’intérêt. Il est indéniable que leur faiblesse encourage la hausse des prix dès lors que le coût de l’endettement est réduit, et aucune banque centrale ne se risquera à enchérir le coût de la ressource avec l’espoir de calmer l’infl ation immobilière. Pour le reste, rien n’y a fait, ni la réduction des aides ni même le durcissement de la distribution des crédits, en particulier du fait des critères renforcés du Haut Conseil de stabilité financière. Et si l’État était en train d’inventer un remède inattendu : l’obligation de mise aux normes énergétiques, notamment contenue dans la future loi Climat et résilience, mais aussi tout simplement l’entrée en vigueur du nouveau diagnostic de performance énergétique, plus fiable et opposable, pour peser sur le prix de l’essentiel des logements existants en France ? Clairement, on sait que 1/5e du parc immobilier ancien français est vertueux au plan environnemental. Le rapport commandé à Olivier Sichel, directeur général délégué de la Caisse des dépôts, sur le financement de la rénovation énergétique, nous apprend en outre, qu’en moyenne, les travaux à engager dans une maison pour la faire entrer dans les catégories A ou B du DPE sont de 45 000 euros et de l’ordre de 25 000 euros pour un appartement. On sait déjà en outre que le législateur va contraindre les bailleurs à rénover non seulement les logements F et G, mais aussi E, et que tous les copropriétaires devront estimer les actions correctives pour améliorer leurs immeubles, y compris en classe C ou D. Très bientôt, les logements classés en dessous des lettres A, B ou C au maximum seront jugés malades. L’étude d’impact du nouveau DPE précise aussi le niveau de dévalorisation vénale des passoires énergétiques, c’est-à-dire les catégories F et G, par rapport seulement aux biens de la catégorie D : jusqu’à près de 10 % pour les logements collectifs et près du double pour les maisons.
«Le montant des travaux à réaliser sera mis dans l’équation du prix d’achat.», Henry Buzy-Cazaux
Une lame de fond qui va tout emporter
Pour le dire différemment, un acquéreur ne pourra pas ne pas prendre en compte le montant des travaux à réaliser pour hisser le bien à un niveau de performance satisfaisant lorsqu’il l’achètera et cette enveloppe sera mise dans l’équation du prix d’achat. Ce changement de mode d’estimation de la valeur d’un bien va s’imposer au fil du temps, il ne pourra en être autrement : les banques elles-mêmes devront prévoir qu’au-delà du prix financé pour l’achat, le futur propriétaire aura rapidement des besoins relatifs aux travaux ; or, son taux maximum d’endettement ne sera pas extensible et devra inclure le bien et les travaux. Mécaniquement, le prix de 80 % des logements va s’en ressentir. Bien sûr, cette vision est le fruit d’une simplification : les biens classés D en zones très tendues, au coeur des cinq ou six plus grandes villes de France ou dans quelques spots touristiques d’exception, échapperont au moins en partie à cette logique, mais combien de temps et dans quelle proportion ? On peut aussi arguer que les propriétaires occupants n’auront pas l’obligation directe de procéder aux travaux, mais seulement d’en connaître l’utilité grâce à un diagnostic, et encore en copropriété, pas dans les maisons individuelles : très vite, la valeur verte va s’imposer partout et pour tous. C’est une lame de fond qui va emporter tout sur son passage. Au rang de ce qu’elle va bouleverser, il y a cette dictature de la valeur de marché pour introduire, qu’on le veuille ou non, une valeur intrinsèque, dépendante des exigences planétaires de vertu environnementale, règlementaires et plus fondamentalement culturelles.