JDA : Les fermetures d’agences immobilières que vous craigniez n’ont pas eu lieu. Quel bilan dressez-vous de la crise sanitaire ?
Jean-Marc Torrollion : Le bilan après crise n’est pas si négatif parce que l’agilité de notre environnement de TPE et PME a joué à plein régime. Le chiffres d’affaires de la grande majorité de nos entreprises a été différé, certes, mais il s’est maintenu. Évidemment, les aides gouvernementales ont conforté la résistance de nos entreprises et le pouvoir d’achat de nos clients. Hormis les locations saisonnières, tous les agents immobiliers ont réalisé une bonne année 2020. Cette année, il faudra composer avec l’incertitude économique, la raréfaction de l’offre et un plus grand nombre de professionnels sur le terrain. Le marché devient très concurrentiel et les marges s’amoindrissent.
JDA : Comment s’adapter à ces nouvelles conditions du marché ?
J.-M. T. : Tout d’abord, il faut surveiller de très près sa trésorerie, en souscrivant, si besoin mais sans hésiter, un prêt garanti par l’État (PGE). Ensuite, il faut continuer à investir dans les outils digitaux. Les cabinets d’administration de biens et le syndic doivent se préparer à payer plus cher leurs outils digitaux, aujourd’hui stratégiques, pour faire face à la nouvelle forme de concurrence. Enfin, il est important de mettre en place une politique de fidélisation de ses collaborateurs qui tient compte de la modification de l’environnement concurrentiel.
JDA : Ce qui est certain, c’est que les agences immobilières recrutent à tour de bras…
J.-M. T. : Le véritable enjeu, aujourd’hui, côté employeur, c’est de travailler l’attractivité de la marque. Tous les acteurs de l’immobilier se doivent de répondre à la question : « Comment garder les collaborateurs actuels tout en recrutant de nouvelles personnes ? ».
JDA : Comment faire justement ?
J.-M. T. : Il faut être plus compétitif et plus séduisant. Les règles de la rémunération en matière de transaction ont été modifiées par l’émergence des modèles des réseaux de mandataires et par l’appétence des jeunes à l’indépendance et l’entreprenariat. Face à ce phénomène de double mutation, le chef d’entreprise doit réfléchir à l’attitude à adopter. Cela signifie qu’il faut embaucher plus d’indépendants ou d’autoentrepreneurs, ou bien basculer sur un modèle salarial et se séparer des commerciaux les moins performants. Dans tous les cas, on risque d’assister à une tension sur les rémunérations.
JDA : Ce qui pèse sur la rentabilité des structures immobilières…
J.-M. T. : Oui, ces recrutements masquent de gros enjeux de gestion et la nécessité de revisiter les schémas traditionnels. En transaction, face à l’augmentation des autoentrepreneurs, le modèle salarial a toute sa place avec le statut du négociateur salarié VRP. Il faut réexploiter et réexplorer le statut de ce type de collaborateur de l’agence. Et garder à l’esprit que le modèle salarial permet de préserver la rentabilité de l’entreprise.
«ll faut repenser les fondamentaux économiques de l’agence de quartier. Il faut innover dans nos outils et le management de nos équipes, en réexploitant, réexplorant le statut du collaborateur de l’agence, sous toutes ses formes.»
JDA : Votre analyse s’applique- t-elle aussi aux cabinets de syndics ?
J.-M. T. : Le rôle de la Fnaim, c’est d’anticiper les potentielles mutations de tous nos métiers . C’est pour comprendre cette mutation de nos entreprises que nous avons d’ailleurs demandé un rapport à Laurent Grandguillaume, vice-président de la Fondation Travailler autrement et ancien député, sur les mutations du travail et de l’emploi. Nous devons à la fois sécuriser la relation des agents immobiliers aux indépendants et accompagner les agents commerciaux. Je suis particulièrement réceptif aux propositions sur la formation. Nous avons un devoir d’accompagner l’évolution et la montée en compétences de tous nos collaborateurs pour répondre aux exigences légitimes de nos clients.
JDA : Comment devenir un employeur plus séduisant ?
J.-M. T. : En se mettant au goût du jour et en procurant à son futur collaborateur le choix entre le statut d’indépendant et de salarié. Outre la question économique et financière, il faut prêter attention aussi au cadre de travail et à l’ambiance générale.
«Il faut aussi être attentif au cadre de travail. Quoique l’on pense, le babyfoot ou l’espace de détente sont des signaux d’équipe et de convivialité intéressants»
JDA : Finalement, les agences immobilières sont poussées à renforcer leurs équipes de vente tout comme les réseaux de mandataires…
J.-M. T. : Chacun est confronté à la massification des forces de vente, mais chacun n’a pas la même vision du métier. Les agents
traditionnels considèrent qu’il y a une incompatibilité entre distanciation du management et qualité du professionnel. A l’inverse, les réseaux de mandataires considèrent que le phygital répond à cette problématique. Les indépendants craignent de ne pouvoir faire face à cette concurrence et l’effet disruptif que cela entraîne sur les rémunérations. Mais, heureusement, les modèles bougent. L’agence traditionnelle réinventée a toutes ses chances de sortir gagnante grâce à sa proximité et sa qualité managériale. Comme souvent, la qualité des entrepreneurs est un marqueur. Et n’oublions pas que le titre d’agent immobilier est protégé !
JDA : Pourtant, au plus fort de la crise sanitaire, vous vous êtes battu pour les visites, pas pour la réouverture de vos agences…
J.-M. T. : Avec la digitalisation des process – signature électronique, visite virtuelle – la réouverture d’un point physique est passée au second plan. L’important, c’était l’action commerciale venant conclure ou compléter les outils que nous avions mis en place. Cela ne remet aucunement en cause la nécessité d’une agence physique. L’agence permet la jonction de services connexes, elle parle aux clients lorsqu’ils la voient, elle peut être le support d’un développement en gestion locative et en syndic. Les espaces de coworking qui se développent au sein des réseaux de mandataires témoignent d’ailleurs de la même nécessité de convivialité.