« Le mandat exclusif, un contrat optimal ? « , Nathalie Gardes Enseignante chercheuse à l’Université de Bordeaux

La notion d’exclusivité repose avant tout sur la confiance et la qualité du service que vous pouvez apporter au vendeur.

Si le mandat exclusif est le graal des mandats en assurant la rémunération des efforts déployés par l’agent immobilier et représente d’un point de vue théorique un contrat optimal en permettant d’aligner les intérêts des parties, force est de constater qu’il est rarement plébiscité par les clients. Sur 70 % de transactions intermédiées, 10 % seulement le sont en mandats exclusifs.

Inefficacité du mandat simple : un problème d’agence (1)

Comprendre pourquoi le mandat exclusif est un contrat optimal nécessite de revenir sur les fondements théoriques d’une relation d’agence. Définie comme un contrat par lequel une ou plusieurs personnes (le principal) engage une autre personne (l’agent) pour accomplir quelques services en leur nom, la relation d’agence implique la délégation d’une partie de l’autorité de prise de décision à l’agent. De par sa nature, la relation d’agence pose problème dans la mesure où les intérêts personnels du principal et de l’agent sont divergents, ce qui est le cas dans la transaction immobilière : l’agent immobilier souhaite vendre le bien le plus vite possible pour toucher sa commission, le propriétaire du bien veut le vendre le plus cher possible. Associée à une situation d’asymétrie d’information cette divergence d’intérêts pose problème car elle ouvre une brèche à l’opportunisme potentiel des acteurs (2).

Or, la relation d’agence n’existe que parce que le vendeur estime l’agent mieux placé que lui pour gérer son bien. Il lui reconnaît des capacités et un savoir particulier dans l’estimation, la commercialisation et la négociation des biens immobiliers qui lui permettront de vendre plus vite et au meilleur prix. Sans cette reconnaissance le propriétaire vendeur choisira d’organiser lui-même la transaction. L’asymétrie d’information est donc à l’origine de la relation contractuelle. Ne disposant pas de toute l’expertise pour évaluer son bien et ne pouvant observer et contrôler les efforts de l’agent, le propriétaire vendeur s’expose à l’opportunisme potentiel de l’agent. Il pourrait par exemple sous évaluer le bien pour vendre le plus vite possible. Face à ce soupçon d’opportunisme, le propriétaire vendeur peut s’en remettre à deux mécanismes disciplinaires :

  • une structure de rémunération incitative : le commissionnement en pourcentage du prix de vente est censé encourager l’agent à révéler son information ou à entreprendre les bonnes actions ;
  • le recours à plusieurs agents.

Le problème du recours à la concurrence est qu’il donne naissance à un autre opportunisme potentiel celui du propriétaire vendeur. L’agent immobilier engage des efforts et des coûts pour lesquels il pourrait n’avoir aucun  retour. Il peut être donc peu incité à engager les actions nécessaires au bon déroulement de la transaction. Ainsi le mandat simple pourrait ne pas être efficace sur deux éléments clés de l’intérêt du propriétaire : le prix et le temps sur le marché.

Le mandat exclusif, un contrat incitatif optimal ?

Un contrat incitatif… Le mandat exclusif comporte un certain nombre d’avantages assurant au vendeur un haut niveau d’implication de la part de l’agent. Le commissionnement au pourcentage associé à l’exclusivité crée une motivation pour vendre le bien qu’il lui a confié rapidement et au meilleur prix. Il garantit un service de qualité par rapport au mandat simple : exposition privilégiée du bien sur les canaux de communication de l’agence, visite immersive, reportage photo professionnel, etc… L’exclusivité étant limitée dans le temps, l’agent est particulièrement incité à mettre tout en oeuvre pour vendre avant la fin de ce contrat. Le mandat exclusif représenterait potentiellement une forme possible de contrat optimal destiné à supprimer le problème d’agence par alignement des intérêts des parties.

… qui n’évacue pas le soupçon d’opportunisme.  Problème résolu ? Non, pas vraiment, car le mandat  exclusif est particulièrement risqué du point de vue du client. Il enferme le vendeur dans une relation qui, sans obligation de résultats, ne lui assure aucunement que les moyens mis en oeuvre aboutiront à la vente effective du bien. L’agent pourrait profiter de ce monopole temporaire et priver ainsi le vendeur du second mécanisme disciplinaire : la concurrence.

Efficacité des mandats exclusifs

Pour connaître la réelle efficacité du mandat unique, nous avons conduit une étude sur la base de données exhaustives mise à disposition par l’entreprise Yanport (4) . Cette étude, qui portait sur les annonces immobilières entre 2015 et 2018, a permis d’établir une relation signifi cative entre la durée de vie d’une annonce et le type de  mandat. Sur les 530 646 annonces analysées, les enseignements sont les suivants :

  • Le mandat exclusif a une influence significative sur la durée de vie de l’annonce. Le temps sur le marché est plus court mais il est sans effet sur les prix (5). Ce type de mandat semble à la fois produire un effet sur la
    motivation de l’agent mais aussi également sur les dépenses engagées par l’agent du fait d’une rémunération assurée.
  • L’efficacité du mandat exclusif sur la durée de vie des annonces est fonction des territoires. Plus la zone est tendue plus le mandat exclusif est bénéfique pour le client.
  • D’autres éléments ont des impacts sur le temps et sur le marché : le nombre de pièces, d’images, et de variations du prix. Plus ces variables sont élevées plus la durée augmente. Ceci souligne l’importance d’une prise de mandat au bon prix (6).

Construire la confiance

Lorsque les coûts/risques perçus sont supérieurs aux bénéfices, les vendeurs renoncent à l’exclusivité. Le risque d’opportunisme de l’agent lié à l’enfermement relationnel qu’il sous-tend, couplé à l’absence perçue de valeur ajoutée pour ce type de mandat, expliquerait que les mandats exclusifs ne représentent que 10 % de l’ensemble. C’est donc la confi ance et la différenciation de service qui sont la clé de voûte de l’exclusivité. La confiance est une  anticipation du comportement de l’autre. C’est la capacité d’observer les actions du partenaire qui va permettre sa construction. « Il est toujours possible de déclarer qu’un pistolet est chargé, mais c’est en tirant que l’on en donne la meilleure démonstration » (Schelling (7)). C’est donc au professionnel de démontrer en amont sa compétence et ses qualités par des actes.  Le client doit pouvoir être en mesure de :

  1. Savoir si la transaction sert ses intérêts. Un rapport d’estimation soigné et soutenu par un dossier  multi-expertise permettra de justifier la fourchette de prix proposée au client et fera la différence !
  2. Contrôler les efforts de l’agent. Rendre compte régulièrement des efforts déployés et des actions engagées est une nécessité absolue.
  3. Comprendre votre valeur ajoutée. Pour ce faire spécifiez vos engagements : les plans d’actions doivent être déclinés et précisés pour chaque étape du processus de vente. Un conseil : rédigez un cahier des charges clair  pour votre client.
  4. Percevoir la différence entre mandat simple et mandat exclusif en termes de service. Expliquez l’intérêt des services premium : garantie après-vente, géolocalisation des annonces, visite immersive, reportage 3D professionnel, home staging virtuel, etc. Synthétiser vos services dans un tableau comparatif sur l’engagement de service mandat simple vs exclusif .

Références

(1) « Theory of the firm: managerial behavior, agency cost, and ownership structure », M. Jensen et W. Meckling. Journal of Financial Economic, 1976, pp. 305-360.
(2)  En l’absence de problème d’asymétrie informationnelle, les éventuels conflits d’intérêt seront aisément surmontés dans la mesure où le principal détectera immédiatement tout comportement opportuniste de la part de l’agent.
(3) Analyse de survie sur les données conduite au moyen du logiciel SPSS. Ce type d’analyse est utilisé lorsque l’on s’intéresse au temps écoulé jusqu’à un événement, pour ce qui nous intéresse ici, la disparition d’une annonce.
(4) Un grand merci à Francois Comer pour l’accès à ses données.
(5) Analyse des prix hédonique réalisée par Guillaume Pouyanne à partir des données Yanport.
(6) https://www.journaldelagence.com/1182338-le-juste-prix-ou-le-risque-du-bien-grille-caroline-theuil-juriste-redacteur-expert-immobilier.
(7) « Stratégie du conflit », T. C. Schelling. Paris, PUF, 1960, 1986 pour l’édition française, 312 p.

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Nathalie Gardes: Nathalie Gardes est Enseignante chercheuse à l’Université de Bordeaux, elle est titulaire d’un doctorat et d’une habilitation à diriger des recherches. Elle publie dans différentes revues scientifiques en marketing stratégique. Responsable de la licence professionnelle métiers de l’immobilier option transaction et commercialisation de biens immobiliers à l’IUT de Bordeaux, elle dispense des cours en stratégie et marketing immobilier.