Sur les marchés tendus, la renonciation à la condition suspensive de financement, alors que l’acquéreur ne dispose pas des fonds, devient de plus en plus fréquente pour obtenir l’accord du vendeur. Cependant, contrairement à l’idée reçue, ce n’est pas un risque pris uniquement par l’acquéreur. Un récent arrêt de la Cour de cassation rappelle que la responsabilité du professionnel de l’immobilier peut être engagée (I). Quant au vendeur et à l’acquéreur, ils ont intérêt eux aussi à s’assurer de la réalité du financement de l’opération (II).
1. La responsabilité de l’agence immobilier
Un nouvel arrêt de la Cour de cassation (Cass. 1re civ. 11/12/2019, n° 18-24381) rappelle l’obligation de conseil qui pèse en pareil cas sur l’agent immobilier (A). C’est l’occasion de revenir, plus généralement, sur l’obligation de vérification de la solvabilité du candidat acquéreur (B).
A – L’arrêt de décembre 2019
Dans cette affaire, le vendeur t l’acquéreur signent, par l’intermédiaire d’un agent immobilier, la vente d’un bien au prix de 160 000 euros. L’acquéreur déclare renoncer à la condition suspensive de financement. Cependant, il ne se présente pas pour la signature de l’acte définitif, ni ne s’acquitte des 17 000 euros de la clause pénale.
Les vendeurs assignent alors l’acquéreur et l’agent immobilier en indemnisation. Pour sa défense, le professionnel soulève que l’acquéreur avait déclaré ne pas avoir recours à un emprunt, que les éléments sur sa situation n’avaient pas été dissimulés au vendeur (acquéreur de 25 ans, cariste magasinier), que ce dernier était libre de signer ou pas l’avant-contrat, qu’enfin l’agent immobilier ne dispose pas plus de moyens qu’un simple particulier pour contrôler la solvabilité réelle de l’acquéreur.
La cour suprême ne suit pas ce raisonnement et juge que « … l’agent immobilier n’avait pas justifié avoir conseillé aux vendeurs de prendre des garanties ni les avoir mis en garde contre le risque d’insolvabilité de l’acquéreur qu’il leur avait présenté ». La jurisprudence s’était déjà prononcée dans le même sens (CA Paris 1/12/2017, n° 16-06057 et CA Bourges 29/10/2009, n° 09/002881) et de relever : « Que certes, l’agent immobilier n’est pas garant de la solvabilité de l’acquéreur, mais qu’il doit cependant procéder à un minimum de vérifications pour s’assurer que ce dernier est en mesure de pouvoir payer le prix convenu ; que la société PAF ne pouvait pas se contenter de la parole de M. G… ce, d’autant moins qu’aucune garantie ni condition suspensive n’avaient été stipulées au compromis de vente ; qu’en s’abstenant d’agir comme elle aurait dû le faire, la société PAF a donc bien engagé sa responsabilité contractuelle envers Mme A… en laissant croire à celle-ci qu’elle avait un acquéreur sérieux et qu’elle allait pouvoir vendre le bien en question à la date et au prix convenu. » (CA Bourges précité).
B- La vérification de la solvabilité de l’acquéreur
Ces décisions relatives à la responsabilité de l’agent immobilier en cas de renonciation à la condition suspensive de financement et de non-réalisation de la vente pour défaut de financement, s’inscrivent dans le
cadre général de l’obligation de vérification de la solvabilité du candidat acquéreur et du devoir de conseil (Cass. 1re civ. 25/11/1997, n° 96-12385 ; Cass. 1re civ. 9/1/1988, n° 86-11829 ; Cass.1re civ. 10/7/1979, n° 78-10534).
La renonciation à la condition suspensive de prêt et/ou la renonciation au séquestre (cf. article « Vérifier la solvabilité de vos clients » du 24/10/2017, journaldelagence. com) en sont des illustrations.
Ce qui est sanctionné en tant que tel, ce n’est pas la renonciation à la condition suspensive de prêt et/ou à séquestre mais le défaut de vérifications et/ ou de conseils. À ce titre, la preuve du conseil donné aux parties pourra résulter de l’avant-contrat par une clause spécifique (que l’agent immobilier soit ou non rédacteur de l’acte).
2. Rendre compétents le vendeur et l’acquéreur
Si vendeurs et acquéreurs sont de mieux en mieux informés sur les prix de vente (sites d’estimation, diffusion par l’administration fiscale des prix de vente de biens immobilier (cf. article « Agents immobiliers, comment utiliser les datas sur les prix de l’administration fiscale » du 6/5/2019, journaldelagence.com), ils ne le sont pas nécessairement sur le contexte juridique de la vente. Ainsi, une étude réalisée par MeilleursAgents en septembre 2019 révèle, qu’au-delà de la détermination du prix de vente, de la recherche d’un acquéreur et de la négociation, 57 % des Français attendent d’un agent immobilier un soutien logistique et juridique sur la vente.
A – Le vendeur
Le vendeur a tout intérêt à ce que le financement de l’acquéreur soit vérifié et il doit demander à ce qu’il lui en soit justifié. Que l’acquéreur renonce, à ses risques et périls, à la condition suspensive de prêt, soit, mais, au final, en l’absence des fonds, c’est bien le vendeur qui ne sera pas payé. C’est lui également qui aura son bien immobilisé inutilement pendant plusieurs mois ; c’est toujours lui qui risque de perdre une chance de vendre à un acquéreur plus sérieux.
Certes, il pourra éventuellement avoir un recours envers l’acquéreur au titre de la clause pénale, mais encore faut-il qu’il engage une procédure (donc des frais et du temps) et que, lorsque le jugement sera rendu, l’acquéreur soit solvable (pour la partie non séquestrée)… Certes, le vendeur peut faire un recours contre l’agent immobilier, qui lui est assuré, mais il faudra là aussi diligenter une procédure et prouver la faute. Pour avoir une idée des délais de procédure, l’arrêt de Cassation du 11 décembre 2019 précité concerne des faits de 2014, soit un délai de cinq ans, auquel s’ajoute celui de la cour d’appel de renvoi.
Bref, la meilleure solution, c’est la prévention, que le vendeur demande les informations et les justificatifs du financement de l’acquéreur, car la qualité du financement de l’acquéreur est un élément de la vente au même titre que le prix de vente lui-même.
B – L’acquéreur
L’acquéreur a aussi intérêt à justifier spontanément de sa situation financière auprès de l’agent immobilier. Il lui donnera alors des éléments concrets pour présenter efficacement son offre auprès du vendeur. Même dans un marché tendu, un vendeur peut privilégier une offre inférieure s’il estime que la vente a plus de chance d’aboutir compte tenu de la situation financière de l’acheteur. Partant, pour justifi er de son apport personnel, l’acquéreur peut demander une lettre à sa banque confi rmant qu’il dispose bien des fonds.
Ainsi, la solvabilité de l’acquéreur est l’affaire de tous : de l’acquéreur lui-même mais également du vendeur et de l’agence car le but, c’est bien de signer l’acte défi nitif de vente, non ?