L’épargne immobilière constitue un des placements préférés des Français. D’après l’Ifop, c’est le deuxième investissement privilégié pour préparer sa retraite (40 %), juste derrière l’assurance vie (50 %), qui comporte aussi de l’immobilier. La part accordée par l’ensemble des Français à l’investissement immobilier (sous toutes ses formes) est la plus élevée au monde (26 %), très supérieure à la moyenne européenne (15 %). Dans de nombreuses institutions financières, les conseillers en investissement proposent de consacrer une partie toujours plus importante de l’épargne en placements immobiliers indirects de type SCPI ou OPCI. Plus rentables que les obligations, les fonds s’épargne performants intègrent l’immobilier de bureaux, un placement réputé stable et plus rémunérateur que les obligations. En 2018, le fonds Euro le plus rentable était composé à 80 % de «pierre papier», c’est-à-dire surtout d’immobilier de bureaux. L’immobilier renforce son image de valeur refuge.
Un rendement calculé sur l’évaluation des loyers
Et pourtant, la manière dont les calculs de rentabilité de ces investissements sont effectués est encore partielle, court-termiste et très « financiarisée » : le rendement des immeubles est calculé principalement en fonction de leur capacité à générer des loyers. Ces loyers sont projetés dans le futur et ces flux sont actualisés avec des formules plus ou moins sophistiquées. De manière étonnante, les investisseurs et les gestionnaires d’actifs tiennent finalement peu compte de la qualité intrinsèque de l’immeuble. La raison principale est que les gérant de fonds n’ont pas accès à des dispositifs performants d’évaluation de la qualité. Ils utilisent les informations de marché disponibles, à savoir principalement des prix de transaction. La durée des baux devrait sécuriser a priori ce rendement. Mais à l’heure de la flexibilité locative, les estimations deviennent plus compliquées, et le recours à une mesure de la qualité intrinsèque du sous-jacent apparaît comme un impératif pour gérer efficacement la qualité et la sécurité d’un placement immobilier sur le long terme. Certes, des certifications existent qui permettent d’identifi er des immeubles particulièrement performants, notamment sur le plan écologique. Mais elles concernent moins de 1 % du parc immobilier et, surtout, les immeubles les plus récents. Les rares certifications existantes sont d’origine anglo-saxonne et leur méthodologie reste très focalisée sur des critères spécifiques définis a priori.
Prendre en compte la qualité intégrale de l’immeuble
L’enjeu est alors de construire un outil qui permette d’évaluer correctement la qualité intégrale d’un immeuble. Il s’agit de créer une méthodologie rigoureuse qui tienne compte d’éléments aussi variés que la capacité isolante du bâti, la flexibilité des espaces de travail, la proximité aux transports collectifs, l’efficacité des circulations internes, le confort lumineux, etc. Bref, toutes les informations nécessaires pour évaluer la qualité d’un immeuble tant du point de vue économique, qu’environnemental et social, et donc les risques associés. Cette mesure doit pouvoir s’appliquer à l’ensemble des immeubles quels que soient leur âge, leur type ou leur localisation. La qualité intégrale permet donc de hiérarchiser les immeubles, comme la valeur ou les prix, mais sur une base plus holistique.
«Il s’agit de tenir compte des risques économiques, environnementaux et sociaux associés à l’immeuble. »
Cette question fait l’objet d’un programme de recherche (promu par l’Union Européenne), mené par un consortium associant des scientifiques du CNRS et de l’université Paris-Dauphine, ainsi que des professionnels de l’immobilier du monde entier. Dans un premier temps, 150 composantes ont été identifiées (à partir de la littérature scientifique et d’entretiens d’experts) comme les éléments clés de l’évaluation la qualité. Ces composantes recoupent les dimensions du développement durable et permettent l’établissement d’une grille multicritères qui offre une photographie complète et pertinente d’un immeuble. Par la suite, ces 150 composantes ont été pondérées grâce aux résultats d’enquêtes menées auprès de plus de 500 professionnels de l’immobilier à travers l’Europe (la même démarche est en cours en Asie et aux États-Unis) : l’ensemble définit un algorithme modélisant les attentes du marché. Enfin, cet algorithme peut être appliqué à titre individuel à tous les immeubles. Pour cela, il convient de récupérer et synthétiser l’information existante : celle-ci est parfois stockée dans les data rooms des propriétaires, dans les dossiers de réglementation ou simplement publique. A l’issue de ce processus, il est possible de produire une note synthétique sur 1 000, traduite sous la forme AAA pour chaque immeuble dans son marché de référence : la start-up Real Quality Rating est chargée de l’application de ce nouvel outil.
Différencier la création de valeur et la captation de valeur
Cette recherche offre la possibilité de comprendre la formation du prix d’un actif immobilier : la valorisation n’est plus seulement construite sur d’hypothétiques loyers à 3-6-9 ans mais sur des fondamentaux concrets, sur une évaluation du « sous-jacent ». L’idée qui guide ce travail est la volonté de différencier la création de valeur (qui est l’oeuvre d’améliorations concrètes de la qualité de l’immeuble, de travaux énergétiques, etc.) de la captation de valeur (une simple appréciation des prix déconnectée du sousjacent et souvent imputable aux dynamiques de métropolisation ou de baisse des taux). Une focalisation sur le prix et le rendement ne permet pas de comprendre cette différence, pourtant lourde de conséquences.
Avant 2007, les prêts immobiliers étaient accordés en grande quantité, dans l’opacité totale, sans estimation correcte de leur valeur réelle et du risque associé. Personne ne s’intéressait à la qualité sous-jacente de ces produits financiers et tout le monde se concentrait sur le rendement. Aujourd’hui, les priorités ont changé. Le dernier rapport 2019 de l’ONU « Energie Climat » estime que le risque financier lié au dérèglement climatique est douze fois supérieur au coût total de la crise des subprimes. Il semble plus que nécessaire d’anticiper ces questions et de contribuer à apporter des outils scientifi ques favorisant la transparence et la qualité de gestion, pour associer efficacité économique, performance environnementale et amélioration sociale sur le moyen terme et préparer le long terme.
* Source : « Financial performance and quality, a factor-based approach for real estate benchmarking », P. Andriot, F. Larceneux, O. Mege, A. Simon, 2019, In 26th Annual European Real Estate Society Conference. ERES, France.