Dans son premier discours à la Nation, le 12 mars 2020, pour lui révéler la gravité de la situation sanitaire et la nécessité du confinement, le Président de la République a annoncé « le report ou la suspension des loyers », sans précision. Il n’a pas mesuré son propos et nous payons cher aujourd’hui cette précipitation, dans la mesure où les dispositions effectives ne permettent en aucun cas un report des loyers. Cette distorsion a généré une situation explosive à plus d’un titre.
L’erreur a d’abord consisté à évoquer des relations locatives comme celles de Daumier, célèbre caricaturiste du XIXe siècle, avec de riches propriétaires face à des petits commerçants sans défense ni moyens. Parlons des premiers et parlons des seconds. Les premiers ne sont pas une communauté monochrome et uniforme, constituée seulement de puissantes sociétés foncières dotées de fonds propres abondants et naguère valorisées des milliards d’euros par la Bourse. Certes, ces propriétaires-là existent, à la tête des galeries commerciales des hypermarchés, à la tête d’emplacements numéro 1 dans nos grandes villes. Ils renvoient à l’univers de l’assurance, des mutuelles, des fonds d’investissement, des sociétés civiles de placement immobilier.
Ce sont des investisseurs institutionnels
Plusieurs d’entre eux ont d’ailleurs, d’emblée, fait des gestes solidaires remarquables, et leur puissance financière n’enlève rien à la bienveillance dont ils ont fait preuve. La Compagnie de Phalsbourg a été pionnière, en effaçant pour trois mois les loyers des commerces mis à l’arrêt par le confinement. Pour une poignée d’acteurs de cette sorte, quelques dizaines finalement, combien de particuliers, parfois réunis au sein de sociétés civiles immobilières familiales ! La plupart sont bien connus des administrateurs de biens : ils ne disposent pas de compétences internes de gestion et mandatent des professionnels pour faire gérer leur bien. Ces propriétaires-là sont bien loin des institutions auxquelles pensait Emmanuel Macron : détenteurs d’un ou deux locaux commerciaux, non seulement dans nos métropoles, mais aussi dans nos villes moyennes et nos villages, ils se sont endettés pour les acquérir. Les flux de loyers conditionnent leur capacité de remboursement de crédit, et une fois le bien remboursé, ils comptent sur les loyers pour leur servir de complément de revenu. Ils constituent en particulier de véritables retraites par capitalisation, venant compenser la faiblesse des régimes par répartition.
Monsieur Emmanuel Macron semble oublier ces petits investisseurs
À ces propriétaires, l’État n’a rien à demander. Ils feront ce qu’ils peuvent et leur situation n’est pas plus enviable que celle de leurs locataires. Tout au plus peut-on, lorsqu’on est leur conseil et leur gestionnaire, favoriser des accords, avec des stratégies de report d’échéance et de prolongation de baux par exemple pour reporter en fin de contrat une ou deux échéances, ou des plans d’apurement sans pénalité. C’est le discours quasi-comminatoire de l’État qui est choquant.
D’ailleurs, le regard du Président sur les locataires n’est pas plus louable : il faut distinguer entre des enseignes mondiales réalisant des bénéfices considérables en France et dans bien d’autres pays et des marques fragiles, parfois déjà déséquilibrées au plan financier avant la crise, ou simplement des indépendants à la structure économique normale, en général faiblement capitalisés dans le secteur des services notamment ou le commerce de proximité. Pourquoi un locataire commercial qui est en mesure de payer son loyer ne le paierait-il pas ? Qui plus est, le gouvernement français, avec plus de largesse que ses homologues, a créé le prêt garanti par l’État (PGE), équivalent à 25% du chiffre d’affaires des entreprises, quelle que soit leur activité ; et ce prêt a vocation à leur permettre justement d’acquitter leurs charges fixes. Des évidences qu’il fallait rappeler, au moment où l’inconséquence et la mauvaise foi dictent à certains acteurs des stratégies condamnables.
Ce n’est pas tout : le propos présidentiel, endossé ensuite par le Premier ministre et le ministre de l’économie et des finances, a contaminé l’immobilier tertiaire et l’immobilier résidentiel. Des sociétés occupant des bureaux, qui poursuivent leur activité en télétravail, exigent des remises et des gratuités de loyer. Des locataires de logements privés formulent désormais chaque jour des demandes de moratoire ou d’annulation de leur loyer d’habitation, sans raison démontrée. Il n’est pas question de nier que la crise aura des effets qui pourront motiver des actions de soutien le moment venu, au bénéfice de ménages en difficulté, mais là encore, on rappellera une évidence : la créance de loyer, même en ces temps difficiles, doit être privilégiée par les locataires. Ils ne sauraient considérer que cette charge, qui est vitale pour le bailleur, peut n’être pas acquittée sans conséquence.
Une chose est sûre : les propriétaires particuliers, qui confient leur patrimoine aux administrateurs de biens, sont les laissés pour compte de cette crise : ce discours gouvernemental approximatif les met en grande difficulté économique et tend les relations locatives au plus mauvais moment.