Concrètement, la plupart des ventes immobilières doivent-elles être suspendues jusqu’en juillet 2020 ? Convaincus qu’il est inutile d’ajouter de la crise à la crise, les spécialistes de MODELO se sont mobilisés pour essayer d’apporter des solutions.
Si les ventes immobilières sont affectées pour cause de confinement, l’ordonnance du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire n’a pas été de nature à rassurer les opérationnels. Un texte qui n’est pas spécifiquement dédié à l’immobilier, mais qui impacte néanmoins ce secteur en raison des questions pratiques qu’il suscite.
En effet, son article 2 prévoit un mécanisme de report du terme ou de l’échéance des notifications et déchéances d’un droit quelconque qui aurait dû être accompli pendant la période dite « juridiquement protégée » allant du 12 mars au 24 juin. La logique est simple : ne pas pénaliser des personnes engagées qui ne pourraient faire valoir un droit compte tenu des mesures de confinement.
Dans quelle mesure cela impacte-t-il les délais d’exercice du droit de rétractation et de purge du droit de préemption urbain ? En cette période difficile, il est important de rester pragmatique et de rechercher des solutions juridiquement viables.
L’impact sur l’exercice d’un droit de rétractation
Sont ici concernés deux étapes de la vente immobilière avec, très en amont, le droit de rétractation « Hamon » de 14 jours du mandant lorsque le mandat a été conclu « hors établissement » ou « à distance », puis le droit de rétractation SRU de 10 jours dont bénéficie l’acquéreur une fois le compromis signé.
Si le délai pour se rétracter a expiré avant le 12 mars, date du début de la période protégée, c’est terminé : l’ordonnance ne confère pas de nouveaux droits et il est exclu de faire renaître un droit éteint.
En revanche, comment appréhender un droit de rétractation arrivé à échéance depuis le 12 mars ou qui arrivera à échéance d’ici le 24 juin ? Concrètement, son exercice se trouve-t-il, du fait de l’ordonnance, prolongé jusqu’à la fin de la période protégée ? Répondre oui conduirait à suspendre toutes les ventes immobilières concernées, ce qui est bien sûr inacceptable.
Inacceptable et contraire aux souhaits du Gouvernement. En effet, si l’on s’en tient au rapport remis au Président de la République (JO 26 mars), il est indiqué, et la précision est capitale, que « l’ordonnance ne prévoit pas de supprimer la réalisation de tout acte ou formalité dont le terme échoit dans la période visée ; elle permet simplement de considérer comme n’étant pas tardif l’acte réalisé dans le délai supplémentaire imparti. ».
Le Gouvernement l’a rappelé à plusieurs reprises : même si la vie économique de notre pays est suspendue pour nombre d’activités, elle ne doit pas s’arrêter. C’est pourquoi le délai de prorogation issu de l’ordonnance doit être, à notre sens, considéré comme un délai complémentaire offert à l’acquéreur. L’ordonnance participe, pour le sujet qui nous concerne, d’une superposition plutôt qu’une substitution.
S’agissant de mesures supplétives selon nous, un acquéreur qui souhaiterait acheter avant l’expiration des délais complémentaires qui lui sont offerts devrait valablement pouvoir le faire. L’interdire serait contraire aux intérêts de tous : des 97 % des acquéreurs qui ne se rétractent pas, des notaires empêchés de finaliser la vente et, bien entendu, des agents immobiliers confinés dans une situation précaire.
Alors, comment procéder en pratique ? En formalisant, tout simplement, la renonciation du bénéficiaire du droit de rétraction à se prévaloir du délai complémentaire que lui accorde l’ordonnance.
Sachant que la renonciation à un droit ne se présume pas, qu’elle doit nécessairement résulter d’un acte manifestant, sans équivoque, la volonté de renoncer (Cass. 3e civ., 20 janv. 2015), qu’elle doit être faite en connaissance de cause et intervenir postérieurement à la naissance du droit auquel on renonce, il est vivement recommandé d’être précis.
Précis quant au contenu de l’acte de renonciation que signera le mandant ou l’acquéreur[1] et précis quant au moment de la renonciation : à l’expiration du délai de 14 jours pour un mandat conclu hors établissement ou à distance, ou à l’expiration du délai de 10 jours laissé à l’acquéreur pour se rétracter.
La renonciation pourra également intervenir plus tard, lors de la réitération par acte authentique. Si la position du notariat est attendue, l’analyse du Cridon du Nord-est[2] semble cautionner cette solution. Une solution de bon sens permettant à celui qui souhaite acheter, de le faire.
Bien évidemment, si l’acquéreur ne souhaite pas renoncer au nouveau délai qui lui est offert, il sera difficile de passer outre, ce délai de rétractation devant a priori débuter, à partir du 24 juin prochain.
L’impact sur le droit de préemption urbain
Pour ce qui est de la purge du droit de préemption urbain, il est visé par l’article 7 de l’ordonnance qui précise, en substance, que les délais d’instruction non échus au 12 mars sont suspendus jusqu’à la cessation de l’état d’urgence sanitaire augmentée d’un mois.
Si une déclaration d’intention d’aliéner (DIA) a été notifiée avant le 12 mars, par exemple le 1er mars, le délai sera reporté au 25 juin pour le temps qui restait à courir au 12 mars puisqu’il est ici question d’une suspension et non d’une interruption du délai. Et si la DIA est notifiée après le 12 mars, le délai de réponse de l’administration de deux mois commencera à courir le 25 mai 2020, sachant que rien n’interdit à notre sens au bénéficiaire du droit de préemption urbain de faire connaitre sa réponse d’acceptation ou de refus avant ce délai, et ce même pendant la période de confinement.
Pas d’impact sur les délais contractuels, en revanche
Enfin s’agissant des délais contractuels des autres conditions, comme la date de réitération par acte authentique, qui est rarement considérée comme une condition de validité de la vente, et surtout les délais de réalisation des conditions suspensives d’obtention d’un prêt ou d’un permis de construire, ils ne sont pas concernés par l’ordonnance. Or, le dépassement du délai prévu pour qu’une condition suspensive se réalise entraînant, en principe, la caducité automatique et irréversible du contrat, il est donc vivement conseillé, pour les compromis déjà signés comportant de telles conditions suspensives de procéder par voie d’avenant[3], avenant prorogeant le délai de leur réalisation à l’issue de la période de confinement Covid-19.
S’agissant d’un sujet dont les enjeux économiques sont aussi importants que préoccupants, on ne peut qu’espérer des pouvoirs publics une prise de position, et des représentants des professionnels concernés, tant notaires qu’agents immobiliers, une mobilisation en ce sens. En attendant, il importe surtout de trouver des solutions à des problèmes plutôt que l’inverse.
[1] Un modèle est d’ores et déjà disponible pour les utilisateurs de MODELO, quelle que soit sa version.[2] https://www.cridon-ne.org/droits-de-retractation-conditions-suspensive-pret/ [3] Le modèle d’Avenant de prorogation au compromis de vente proposé par MODELO, quelle que soit sa version, a été modifié en ce sens.