L’année 2019 a été excellente pour le marché des crédits immobiliers aux particuliers et pour celui des logements anciens. Et il faudra sans doute attendre longtemps pour retrouver de tels niveaux d’activités. Car déjà, le mois de décembre avait vu les premiers nuages s’accumuler dans le ciel. La hausse des prix des logements s’est renforcée, la distribution de crédits a commencé à se resserrer et un communiqué des autorités de contrôle des banques a semé le trouble.
L’année 2020 n’a donc pas commencé dans l’enthousiasme. Les risques qui pèsent sur le financement des acquisitions immobilières des ménages et qui déjà émergeaient à l’automne dernier vont maintenant peser sur l’activité des marchés. Sans aucun doute, les mesures annoncées par le gouverneur de la Banque de France en décembre dernier vont mordre sur la production de crédits et donc sur les achats de logements anciens. Et la morsure devrait être sévère, comme les autorités de contrôle des banques l’espèrent !
Les prémices
Habituellement, l’activité commence à ralentir sur le marché de l’ancien dès la Toussaint. Le nombre de compromis signés recule de l’ordre de 11 % entre les mois d’été et les deux derniers mois de l’année. Puis janvier et février qui sont les mois creux de l’hiver enregistrent un nouveau repli des ventes de l’ordre de 12 %. Ainsi au total, les achats réalisés diminuent de 22 % en moyenne, entre l’été et l’hiver … pour rebondir à l’approche du printemps.
Le mois de décembre 2019 n’a pas échappé à la règle, d’autant que la paralysie des transports et la montée des incertitudes associées à la réforme des retraites a renforcé l’attentisme de la demande. Dans son enquête mensuelle de conjoncture réalisée auprès des ménages en décembre, l’INSEE a bien souligné le décrochage de leur moral, avec comme conséquence l’abandon ou le report vers des jours meilleurs d’une partie de leurs projets d’achats durables et d’investissements immobiliers.
Pourtant, décembre a enregistré une nouvelle amélioration des conditions de crédit faites aux emprunteurs : avec des taux qui ont encore doucement reculé pour s’établir à 1.13 % en moyenne (contre 1.14 % en novembre) et des durées des prêts accordés qui se sont de nouveau allongées de 3 mois (232 mois en décembre, contre 229 mois en novembre). En revanche, le nombre de prêts bancaires accordés a reculé de 22.0 % en décembre, d’après l’Observatoire Crédit Logement/CSA : en décembre 2018, au plus profonde de la crise des Gilets Jaunes et alors que les conditions de crédit n’étaient pas aussi avantageuses pour les emprunteurs, le recul avait été de 17.8 % … soit le double du recul habituel de la demande observé en décembre (de l’ordre de 8 %).
Mais le repli de la demande ne s’est pas constaté partout, même si partout la conjoncture a été moins bonne et si partout le nombre de compromis signés en décembre en a été affecté, comme le baromètre LPI-SeLoger l’a récemment souligné. Le recul de l’activité s’est observé dans les régions où la hausse des prix observée jusqu’alors avait nettement impacté la capacité de la demande à réaliser ses projets, l’amenant à recourir très largement (et beaucoup plus qu’ailleurs) au crédit immobilier : comme en Aquitaine, en Bretagne, en Languedoc-Roussillon et en Midi-Pyrénées. Cela a aussi été le cas dans le Limousin, dans le Nord-Pas de Calais ou en Picardie, même si les prix n’y avaient pas pesé aussi fortement sur la demande : son pouvoir d’achat a en revanche été malmené par la conjoncture économique locale et/ou par les conséquences de la remise en cause des soutiens publics à l’accession à la propriété (aides personnelles, par exemple).
Cependant dans d’autres régions, les ventes ont résisté et ont de nouveau progressé, moins qu’auparavant cependant. Cela a été le cas lorsque l’accession à la propriété qui a bénéficié de l’amélioration des conditions de crédit comme partout ailleurs a pu compter sur une nouvelle baisse des taux d’apport personnel exigés, d’autant que ces marchés étaient souvent en panne depuis plusieurs années, que les prix n’y avaient cru que lentement et donc que les possibilités d’endettement des ménages restaient satisfaisantes (Alsace, Auvergne, Basse Normandie, Bourgogne, Champagne-Ardenne ou Franche Comté). Mais cela s’est aussi constaté en Ile de France et en PACA où la pression de la demande est toujours soutenue et ses capacités financières plus confortables qu’ailleurs.
Donc même si les taux d’intérêt sont restés très bas et si les durées des crédits octroyés se sont de nouveau allongées, la demande de logements anciens a pu décrocher sur de nombreux territoires. Car si la hausse des prix des logements anciens a largement participé à la dégradation de la capacité d’achat de la plupart des candidats à une acquisition immobilière, il faut rappeler que ce n’est pas parce que les conditions de crédit (baisse des taux d’intérêt, allongement des durées) se sont améliorées en 2019 que l’année fut exceptionnelle, mais parce que la diminution des taux d’apport personnel exigés par les banques a permis à la demande de réaliser ses projets.
Ainsi, comme cela a pu se constater très souvent dès les premiers jours de décembre, la demande a presque toujours reculé lorsque les établissements distributeurs de crédit avaient, par prudence, commencé à durcir les conditions d’octroi des prêts. Les établissements bancaires s’attendaient en effet à ce que les autorités de contrôle des banques formulent des recommandations visant un ralentissement (sensible, voire sévère) de l’offre de crédit. Le gouverneur de la Banque de France a précisé cela dès le 12 décembre. Et donc, sans surprise, le marché avait déjà commencé à en souffrir.
L’alerte
Lors de sa réunion du 12 décembre 2019, le Haut Conseil de Stabilité Financière (HCSF) présidé par le ministre de l’Économie et des Finances, Bruno Le Maire, a adopté des recommandations sur proposition du gouverneur de la Banque de France afin d’amener les établissements bancaires à freiner le rythme de progression de leur production de crédits et, donc, à prendre des dispositions pour limiter les risques que feraient peser sur l’économie une distribution des crédits immobiliers trop permissive. Dans le communiqué publié à cet effet, le gouverneur de la Banque de France a rappelé ses quatre motifs de préoccupation :
- une dynamique du crédit immobilier très rapide ;
- une dégradation des conditions d’octroi qui se traduit par une augmentation de la part des crédits dont le taux d’effort est supérieur à 33 %;
- une maturité moyenne des nouveaux crédits en hausse et surtout 5 % des crédits accordés dépassant les 25 ans ;
- un rendement des nouveaux crédits et de l’encours trop faible.
Dans ces conditions, les recommandations du HCSF visent à amener les établissements bancaires à « se conformer aux bonnes pratiques établies » (?) :
- en veillant à ce que les taux d’effort à l’octroi n’excèdent pas 33 % ;
- en n’accordant plus des prêts d’une durée supérieure à 25 ans ;
- en adoptant un « reporting détaillé » dans les plus brefs délais.
Et dans les vœux qu’il a présentés à la place financière de Paris le 14 janvier 2020, le gouverneur de la Banque de France a renforcé le message et précisé que les sanctions vont s’appliquer dès maintenant à tous les nouveaux prêts octroyés à compter du 2 janvier.
On ne manquera pas de souligner que le document qui a été publié en appui du communiqué a clairement rappelé qu’il n’existe pas de signe clair de surévaluation des prix, leur niveau s’expliquant assez bien dès lors que sont prises en compte les conditions de financement (« Plusieurs modèles économétriques disponibles dans la littérature académique ou issus de travaux d’institutions internationales (OCDE, FMI, BCE par exemple) permettent d’estimer un niveau des prix immobiliers cohérent avec les fondamentaux économiques »). Mais bien sûr, ce n’est évidemment pas pour cela que ceux qui ont repris leur vieille croisade sur l’effondrement à venir des prix des logements (après – parfois – avoir annoncé une chute à venir allant jusqu’à 35 %, il n’y a pas si longtemps …) lâcheront leur marronnier.
En revanche, les « recommandations » concernant les taux d’effort à l’octroi supérieurs à 33 % et les durées excessives des nouveaux prêts interpellent. Non pas parce que le Haut Conseil n’est pas en droit de s’interroger et de s’inquiéter. Mais parce que le « diagnostic » présenté est fragile et pour le moins contestable, le « reporting » sur lequel sont censées s’appuyer les recommandations ne permettant pas d’étayer le raisonnement du HCSF.
Concernant la part de la production qui serait d’une durée à l’octroi supérieure à 25 ans, le Haut Conseil l’évalue à 5 % :
- l’Observatoire Crédit Logement/CSA estime que cette part était de 1.7 % du nombre de prêts bancaires accordés à des accédants en 2019 (comme en 2018) ;
- l’Observatoire du Financement du Logement de CSA considère que cela concerne 10 000 ménages (de l’ordre de 1 % des particuliers ayant financé un achat immobilier avec des crédits immobiliers en 2018, hors les travaux seuls). Et la moitié d’entre eux ont en fait bénéficié d’un PAS d’une durée supérieure à 25 ans … donc d’un prêt garanti par l’Etat !
De même, si on s’intéresse aux particuliers ayant acheté un logement ancien et dont le taux d’effort est supérieur à 33 %, ce sont près de 200 000 ménages qui étaient concernés en 2018, d’après l’Observatoire du Financement du Logement de CSA. Plus précisément, 35 % de ces ménages étaient très modestes, disposant d’un revenu mensuel n’excédant pas 2 SMIC et ils résidaient bien souvent dans des communes rurales ou dans des villes petites ou moyennes de Province : alors que 40 % des ménages ciblés étaient plus aisés (3 SMIC et plus), 15 % des ménages ciblés disposant même d’un revenu supérieur à 5 SMIC.
La mise en œuvre des recommandations du HCSF va donc mordre, durement comme la Banque de France le souhaite et l’a répété à plusieurs reprises. L’impact sur le marché de l’ancien sera tout sauf négligeable. Avec au final, une conséquence inattendue (inavouée ?). En limitant l’accès aux crédits immobiliers pour ceux qui ont permis une expansion sans précédent du marché de l’ancien en 2018 et en 2019, les ménages modestes en primo accession à la propriété, les recommandations vont mécaniquement provoquer la diminution de la part des acquéreurs en surfinancement (LTV > 100 %) ou dont la quotité LTV est comprise entre 95 % et 100 %. Comme la quotité LTV est élevée en France à la différence de beaucoup de pays qui plafonnent cette quotité à 90 % (non pas pour des raisons de moindre prudence des banques françaises, mais parce que les garanties sont personnelles et non pas hypothécaires), les recommandations vont permettre de « préparer » la France à la réglementation dite de Bâle IV à venir que chacun s’accorde à reconnaître comme très pénalisante pour l’immobilier résidentiel français ! Et il ne fait guère de doute qu’en d’autres circonstances, il aurait pu ne pas être facile de faire accepter/admettre par des assemblées parlementaires et certaines fédérations professionnelles attentives à l’équilibre et au dynamisme du secteur du logement des dispositions dont l’impact négatif attendu sur l’activité des marchés allait être important. On rappellera à cet égard le débat autour des orientations dites de Bâle III qui, en 2015, avaient mobilisé l’Assemblée Nationale, la Fédération Bancaire Française et la Fédération Française du Bâtiment !
Cela n’est donc pas surprenant de la part des autorités de contrôle des banques, dont le ministère de l’Economie. Mais peut-on alors s’attendre à ce que les recommandations du Haut Conseil favorisent le rétablissement des marges des établissements de crédit que pourtant le gouverneur de la Banque de France appelle de ses vœux ? On peut en douter, tant que la « méthode » de détermination des seuils de l’usure publiés par la Banque de France (!) n’est pas remise en cause …
Et après ?
On comprend bien, comme cela est admis par les établissements de la place de Paris, que le coefficient de morsure des « recommandations » va être élevé.
Avant même la prise en compte des recommandations, on s’attendait à un fléchissement d’activité : la poursuite de la hausse des prix des logements et l’accélération de la hausse constatée en fin d’année, mais aussi la plus grande prudence des établissements de crédit qui, au fil des mois, avaient déjà poussé ces derniers à refermer (doucement) les robinets de la distribution. Et pourtant, les taux des crédits devraient rester très bas …
Ainsi en janvier 2020, l’Observatoire Crédit Logement/CSA constate que le taux moyen des crédits accordés depuis le début de l’année s’est stabilisé à 1.13 % : en dépit d’un lent relèvement des taux affichés dans les barèmes des banques, la déformation de la structure de la production a comme conséquence la stabilisation du taux moyen. En revanche, les durées des nouveaux prêts ont baissé de 5 mois par rapport à leur niveau de décembre. De plus, la part des jeunes et des ménages modestes en primo accession diminue, ne pouvant réaliser leurs projets immobiliers que ceux dont le niveau de l’apport personnel est suffisant pour leur permettre de moins recourir au crédit : donc en supportant des taux d’effort plus faibles et en empruntant sur des durées moins longues ! Pour illustrer cela, en janvier le niveau des apports personnels mobilisés est de plus de 10 % supérieur à celui constaté il y a un an à la même époque.
Et sur les 200 000 ménages dont les taux d’effort sont supérieurs au seuil symbolique de 33 % (situations qui pour beaucoup de ceux qui commentent la conjoncture des marchés n’existaient pas … jusqu’à la publication du communiqué car ils restaient persuadés que cette « règle était de droit »), ceux dont les revenus dépassent les 3 SMIC ne devraient pas être affectés par la recommandation : leur capacité d’épargne, mais aussi la composition familiale du ménage (des biactifs) et les types d’opérations réalisées, leur permettront de facilement rentrer dans les clous. Une large partie des 2 à 3 SMIC (de l’ordre des 2/3 d’entre eux) devrait aussi échapper à la morsure : par exemple, ceux nombreux d’entre eux qui réalisent des opérations dites d’acquisition-amélioration différeront la partie amélioration et passeront facilement sous les fourches caudines de la recommandation. Mais bien sûr, cela signifie que le marché de l’amélioration-entretien des logements qui n’est déjà pas vaillant ira plus mal encore : les objectifs de la politique monétaire paraissent oublier les impératifs de la rénovation énergétique et de la lutte contre le réchauffement climatique !
En revanche les moins de 2 SMIC (et une partie des 2 à 3 SMIC) seront les grands perdants de la mise en œuvre des recommandations du Haut Conseil. Ce sont donc de l’ordre de 100 000 achats de logements anciens qui risquent d’être abandonnés ou, au mieux, différées à un horizon incertain (voire sine die) : un choc qui pourrait donc être comparable à celui provoqué par la crise économique et financière internationale de 2008 ou par la suppression du PTZ à l’ancien sans travaux décidée en 2011. Le marché de l’ancien devrait payer un lourd tribut (mais ce n’est pas le seul) et la réponse à la demande de logements des ménages jeunes et modestes, résidant en zone rurale ou dans les villes petites et moyennes de Province va devoir être « (ré)inventée ». Et ce ne sont probablement pas le PTZ dans l’ancien (moins de 2 000 unités par mois en 2019 !) et les interventions de l’ANAH, voire le Programme d’Action « Cœur de ville » et le Denormandie dans l’ancien qui vont redynamiser une demande déstabilisée par les recommandations du Haut Conseil … sauf, bien sûr, bouleversement paradigmatique (ou mieux encore, révolution copernicienne) de la politique du logement conçue par l’administration des Finances.
[1] Cet article synthétise les principaux résultats du baromètre LPI-SeLoger, de l’Observatoire Crédit Logement/CSA et de l’OPCI, l’Observatoire de la Production de Crédits Immobiliers.