Un peu partout dans le monde, accompagnant la dynamique de métropolisation, l’accessibilité au logement devient toujours plus difficile à mesure que les loyers augmentent et que les salaires stagnent : nombreux sont ceux qui doivent quitter leur logement faute d’être dans la capacité de suivre l’évolution des loyers. Si le logement constitue un bien fondamental pour les ménages, il est en même temps un actif qui fait l’objet de transactions sur un marché. Une demande croissante de locations doit s’ajuster à une offre locale fixe. Le marché locatif obéit ainsi à certaines réalités, en particulier à un ajustement des prix à la hausse.
Une mesure de bon sens a priori « bienveillante »
Pour limiter cet ajustement préjudiciable aux locataires, le contrôle des loyers semble être une mesure de bon sens, plutôt populaire chez les électeurs et les politiques. Si les loyers sont trop élevés, il suffit de les plafonner, et les locataires seront moins contraints de quitter leur logement. L’idée générale est que les propriétaires ne sont pas autorisés à dépasser certains niveaux de loyers, fixés arbitrairement par les pouvoirs publics. La croyance dans l’efficacité de cette mesure semble se nourrir de l’absence d’expérimentations scientifiques sérieuses. Mais, la chercheuse Rebecca Diamond et ses collègues de Stanford viennent de publier une analyse des effets qu’a eu la mise en place du contrôle des loyers à San Francisco en 1979 et en 1994*. Ils montrent que le plafonnement des loyers favorise en effet directement les locataires qui en bénéficient car ceux-ci restent plus longtemps dans leur logement : ils ont observé une réduction des départs de 20 %, en particulier parmi les minorités les plus fragiles, ainsi qu’un maintien de la diversité. Cette assurance contre les augmentations de loyers reste ainsi précieuse pour les locataires qui ont développé un réseau d’amis et/ou de famille, qui sont à proximité de leur travail etc., bref pour ceux qui sont fortement inscrits dans la communauté locale. Pourtant, cette mesure a priori bienveillante, a abouti à des effets globaux totalement contre-productifs, à l’opposé du but recherché de protection des locataires.
Des conséquences négatives pour les locataires
Les grandes conclusions de leur enquête corroborent en réalité une abondante littérature scientifique sur le contrôle des prix : le coût social global de cette mesure a été très élevé, et de nombreux effets collatéraux non attendus ont changé le marché locatif de la ville. Les chercheurs ont observé que le plafonnement des loyers :
- incite les propriétaires à vendre leurs biens à de nouveaux propriétaires occupants, donc réduit au final l’offre de locations disponibles. À San Francisco, l’offre de logements en location a diminué de 15 % après l’instauration de cette mesure, et renchérit les loyers non contrôlés de la zone (exemptés pour diverses raisons) de plus de 5 % ;
- encourage la gentrification des zones que l’on veut protéger car les locataires disparaissent au profit des propriétaires, soit l’exact opposé du résultat attendu ;
- crée de l’inertie artificielle et un marché de la location au ralenti : une fois qu’un locataire a obtenu un appartement à loyer contrôlé, il n’aurait plus intérêt à déménager, même si ses besoins en matière de logement changent. Quand les enfants quittent le foyer familial par exemple, les parents n’ont aucun intérêt à quitter le bien, ce qui pénalise l’entrée d’une jeune famille dont les besoins sont plus en adéquation avec la nature du logement. Ce ralentissement de la rotation du marché conduit à une organisation sous-optimale des logements;
- entraîne une dégradation du parc de logements locatifs : les propriétaires n’investissent plus dans l’entretien des logements car ils ne peuvent pas récupérer cet investissement en augmentant leurs loyers et compensent le loyer perdu ;
- réduit l’incitation financière à construire de nouveaux logements car les projets immobiliers deviennent moins rentables commercialement.
« Cette mesure satisferait les investisseurs financiers, qui n’ont pas a priori le souci de l’intérêt général »
Une mesure jugée positive pour les investisseurs
Pour autant, l’analyse des économistes ne recoupe pas réellement celle de certains professionnels. Le Financial Times s’est récemment fait l’écho d’une étude d’un gestionnaire de fonds qui possédait pour plus de 4 milliards d’euros de biens en location au Royaume-Uni (sans contrôle des loyers) et en Allemagne (avec contrôle des loyers). Étrangement, le contrôle des loyers est jugé positivement car il représente un avantage financier autant pour les propriétaires que pour les locataires. En effet, les locations en Allemagne durent huit ans en moyenne, contre deux ans à peine au Royaume-Uni, offrant ainsi l’avantage de créer de la stabilité pour les investisseurs et une plus grande sécurité pour les locataires. Avec des contrats de location de long terme, les locataires allemands gagnent en visibilité sur le loyer futur quand les anglais, avec des contrats de moins d’un an, restent soumis à de
fortes incertitudes. Au Royaume-Uni, à l’expiration du bail, les locataires peuvent devoir accepter une forte augmentation de loyer ou déménager, ce qu’ils font le plus souvent. Une situation loin d’être optimale pour les propriétaires qui doivent supporter de la vacance locative et engager des frais pour retrouver des locataires. Plus encore, l’étude a montré que les dépenses pour travaux étaient plus importantes avec des locataires courte durée car ceux-ci se considéraient moins comme « chez eux », avec pour conséquence une dégradation des biens plus rapide. Ainsi, la stabilité et la prévisibilité des revenus des locations contribuent à attirer les investisseurs institutionnels qui préfèrent la sécurité au risque. Leurs analyses financières montrent même que les immeubles locatifs en Allemagne génèrent des revenus nets supérieurs de 10 à 15 % à ceux du Royaume-Uni.
Le contrôle des loyers est souvent brandi comme arme de justice sociale par des politiques qui aiment s’afficher soucieux de l’intérêt général. Pourtant, les évaluations macroéconomiques de cette mesure tendent à révéler les effets contre-productifs pour l’ensemble des locataires, de la réduction de l’offre à la gentrification, des résultats loin de la bienveillance affichée. À l’inverse, cette mesure satisferait les investisseurs financiers, qui n’ont pas a priori le souci de l’intérêt général et qui affichent une posture plus favorable à la stabilité offerte par un contrôle de la croissance des loyers. De quoi rebattre les cartes de certaines postures politiques.
* « The Effects of rent control expansion on tenants, landlords, and inequality : Evidence from San Francisco », R. Diamond, T. McQuade, and F. Qian, 2019, American Economic Review, 109 (9) : 3365-94.