« Le courtage en crédit représente plus de 35% des crédits immobiliers distribués par les banques », Bruno Rouleau

Le marché du crédit, les relations entre banques et courtiers, sa vision des évolutions du métier de syndic, la synergie avec le Logement... Entretien exclusif avec Bruno Rouleau, nouveau président de l'APIC depuis le 14 janvier.

JDA : Qu’est-ce que l’APIC ?

Bruno Rouleau : Le courtage en crédits s’est imposé dans le paysage financier et immobilier au fil des années et représente désormais plus de 35% des crédits immobiliers distribués par les Banques.  L’APIC est une association professionnelle qui regroupe en 2020 neuf des dix enseignes majeures du marché, mais c’est aussi et surtout un nombre conséquent de cabinets de plus petites structures (près de 3000 adhérents) qui exercent ce métier d’intermédiaire, dont l’essence même est la recherche pour les consommateurs de solutions bancaires adaptées, afin de les aider à réaliser leur projet d’accession à la propriété. Avec près de 80% de la production intermédiée, c’est l’association la plus représentative du marché.

L’APIC est née en 2010 lorsque les Pouvoirs Publics finalisaient la Loi de Régulation Bancaire et Financière (dite Loi Lagarde), et qu’ils cherchaient à rencontrer des interlocuteurs représentatifs de la profession encore peu encadrée. Bien que reçus individuellement par le rapporteur du rapport sur l’intermédiation en France, quatre des plus importantes enseignes se sont rapprochées pour échanger sur l’absence d’organe significatif capable de porter la voix des cabinets du plus en plus nombreux, et qui allaient devoir être confrontés à leur première véritable réglementation.

JDA . L’association va donc fêter ses 10 ans. Quelles sont les perspectives du courtage pour les années à venir ?

Bruno Rouleau : Le métier de courtier en crédits a beaucoup évolué ces dernières années, avec plusieurs nouvelles réglementations qui touchent autant les banques que les intermédiaires : la 2ème Directive sur les Services de Paiement, la Directive sur le Crédit Immobilier, la 2ème Directive sur la Distribution d’Assurances, mais aussi d’autres réglementations qui touchent aux droits des consommateurs, comme la Médiation ou le Règlement sur la Gestion des Données Personnelles. Ces contraintes supplémentaires vont toutes dans l’intérêt du client, et c’est un gage de professionnalisme et de sécurité pour lui lorsqu’il s’adresse à un courtier en crédits, qui a désormais le même niveau de responsabilité qu’un conseiller bancaire.
On devrait connaître une accalmie sur le plan des réglementations, car la France a transposé toutes les directives européennes en cours, et que le secteur bancaire a demandé une pause aux autorités financières. Mais les évolutions ne devraient pas pour autant être freinées, mais ce sera moins du côté législatif que du côté technologique. L’avènement du digital et de l’intelligence artificielle dans les outils de relation client vont profondément marquer les années qui viennent. La profusion d’applications et de nouveaux outils vont élargir le spectre de l’information aux consommateurs. Cependant, comme toujours, ce dernier va devoir apprivoiser ce champ des possibles pour lui, et il aura sans aucun doute besoin, plus que jamais, de compétence et d’écoute pour l’aider à appréhender cette liberté. Or les courtiers offrent cette neutralité et cette vision panoramique des offres et solutions bancaires dont a besoin le client pour réaliser ses projets.
Et puis, il faudra s’attendre à voir apparaitre sur le marché du financement de nouveaux acteurs. La Banque en France reste concentrée autour d’une poignée de groupes dont la concentration n’a cessé de se faire, à la fois pour des questions de rationalité économique mais aussi, suite à la crise des subprimes de la fin des années 2000, sous la pression des Pouvoirs Publics et des autorités de contrôle financières. L’offre bancaire s’est du coup sclérosée. L ’absorption du dernier établissement spécialisé (NDLR. Le Crédit Foncier en février 2019 par BPCE) a fait converger les analyses et les normes d’octroi des crédits. On manque cruellement d’originalité, pour répondre entre autres aux nouvelles organisations de vie des ménages.
En revanche, la France reste un marché compliqué à investir pour des établissements financiers étrangers, car la réglementation y est très dure et la rentabilité faible. Mais c’est aussi un pays qui propose des potentiels de croissance significatifs et un niveau de risques le plus faible en zone euro. Nous sommes observés. Par ailleurs, des acteurs digitaux peuvent aussi, dans leur approche stratégique, y envisager des opportunités d’installation avec l’aide de courtiers pour accompagner leur percée du marché.

JDA . Quelle est votre vision du marché pour 2020 ?

Bruno Rouleau : Le Marché du crédit en 2019 a suivi l’euphorie des ventes de logements. On devrait avoir produit 240 milliards d’euros de crédits immobiliers pour accompagner les achats de biens à usage résidentiel. Les encours de crédits aux ménages avoisinent les 1.100 milliards d’euros à fin 2019. A noter que la fin d’année a été marquée par le retour de demandes de renégociations, l’évolution des conditions de taux permettant à certains emprunteurs de prétendre à un gain sur leurs conditions contractuelles initiales ou déjà renégociées.
Pour 2020, on attend un apaisement sur les volumes de transactions, sans doute entre 900 et 950.000, car la raréfaction des biens de qualité, et immédiatement emménageables, va calmer les ardeurs des candidats. D’autre part, les recommandations du Haut Conseil à la Stabilité Financière (NDLR. Organe consultatif où siège des experts financiers, le Ministère des Finances, la Banque de France et les autorités de contrôle financier nationales) de novembre dernier enjoignent les établissements prêteurs à respecter scrupuleusement le taux d’endettement de 33% des particuliers, à limiter la durée initiale des prêts consentis à 25 ans et à réduire les volumes de production des crédits au-delà de 100% de la valeur du bien. Même s’il ne s’agit que de recommandations, les banques vont y être sensibles. Et enfin, le niveau de prix atteint dans certaines villes va trouver un seuil de financement, surtout s’il y a limitation des durées de remboursement.
Néanmoins, le crédit immobilier demeure le produit de captation de nouvelle clientèle le plus efficace pour les banques, et le caractère sain du marché immobilier devraient permettre de vivre une année 2020 encore très active.

JDA . La fin de l’année a été marquée par différentes décisions bancaires quant à leurs relations avec les courtiers. Certains ont mis fin à leurs conventions, d’autres ont modifié leurs conditions financières. Que doit-on attendre de ces décisions pour les courtiers et pour le consommateur ?

Bruno Rouleau :  Le secteur bancaire est engagé dans un virage brutal et parfois violent depuis ces derniers mois, notamment du fait de l’accélération de l’arrivée de la technologie dans leur organisation. Ça se traduit dans les faits par des annonces de réduction d’effectifs et du nombre d’agences, et des réorganisations profondes. Du coup, les banques anticipent qu’elles vont avoir du mal à séduire les clients sur la seule base de leur qualité de service, et elles se préparent des marges de manœuvre pour attirer les nouveaux clients en cherchant des gains de rentabilité. Du coup, elles demandent aux intermédiaires de vendre leurs frais de dossier et réduisent pour certaines leurs règles de commissionnement. Pour ce qui concerne l’arrêt des relations avec certains établissements bancaires, ça a été de tous temps de voir des banques sortir et revenir sur le marché de l’intermédiation. Et on s’aperçoit avec le recul qu’une fois restaurées leurs marges, elles sont en mal de nouveaux clients. Elles reviennent alors vers les courtiers pour les aider à regagner des parts de marché. C’est ainsi. Reste que, comme déjà dit, il se pourrait qu’il y ait demain de nouveaux acteurs qui prennent leur place, et que leur retour soit plus compliqué qu’auparavant. Car avec les réductions d’effectifs projetées et la bascule technologique, les banques ne pourront pas absorber avant un bon moment les flux de contacts, surtout si le marché immobilier reste actif.
Pour le consommateur, les relations Banques-Courtiers n’ont pas beaucoup d’influence. Le client qui s’adresse à un courtier vient y chercher une compétence professionnelle, un accompagnement personnalisé, une neutralité du choix des solutions, et une disponibilité qu’il sait ne pas pouvoir facilement trouver en allant directement rencontrer un conseiller bancaire. Si le courtier n’est pas en relation avec une banque locale très agressive sur le plan des taux, il pourra toujours s’adresser en direct à la banque, comme c’est déjà le cas. Et si la promesse n’est alors pas tenue, il reviendra vers le courtier pour finaliser son projet. On vit cela depuis longtemps. Certaines banques n’hésitent plus depuis quelques années à même demander à leurs clients de faire le tour des courtiers pour demander un alignement de leur proposition sur celles obtenues auprès des courtiers. C’est peu dire de la considération donnée à leur clientèle.

JDA . Quels sont objectifs en tant que président de l’APIC ?

Bruno Rouleau : D’abord, le président d’une association professionnelle n’est qu’un représentant de ses adhérents. Il n’y a pas à proprement parler de promesse de campagne. Il est le porte-parole d’une profession et je suis entouré d’un conseil d’administration très impliqué, qui a d’ailleurs été élargi lors de la dernière assemblée générale pour accueillir de nouveaux représentants des adhérents et tenter de refléter le plus fidèlement possible toutes les sensibilités des membres de l’APIC. De plus, nous savons que la Direction Générale du Trésor veut instaurer un dispositif de contrôle délégué du marché des Intermédiaires en Opérations de Banque et Services de Paiement (dont les courtiers sont une composante importante). Le projet était présenté dans le cadre de la Loi PACTE à l’été 2019, mais a été rejeté au titre de la cavalerie parlementaire. Néanmoins le sujet est intéressant car il va responsabiliser les acteurs du Marché et les contraindre à encore faire monter en compétence leurs équipes. Nous n’avions pas été d’accord sur le texte initial car il était, à notre sens, trop intrusif dans le secret des affaires des structures. Mais nous allons œuvrer dans le sens du projet pour doter l’association de tous les moyens s’y adaptant.
Cela signifie aussi qu’il va falloir fédérer les acteurs du marché, aux tailles et stratégies très différentes, maintenir un dialogue constructif avec les banques et les autorités de contrôle, améliorer les parcours de formation, et accompagner les cabinets de courtage vers la mutation des attentes du consommateur, notamment en termes de multicanal de communication et d’échanges, tout en sécurisant ses données. Enfin, la disparition il y a quelques mois de l’interdiction de cumul du statut de courtier avec celui d’intervenant dans le Financement Participatif va sans doute donner un nouvel élan à cette forme libérale de financement, qui se fait une place progressivement dans le monde des entreprises, mais peine encore entre particuliers.
Vous voyez que ce ne sont pas les projets ni les enjeux qui manquent pour ces 3 prochaines années.

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