La reprise du marché locatif privé
Le marché locatif privé s’est ressaisi durant l’été 2014, à l’instar de la plupart des marchés immobiliers à usage d’habitation. Après un début d’année difficile, l’activité a alors mieux terminé l’année qu’elle ne l’avait commencée. En dépit d’une demande toujours préoccupée par la situation de l’emploi, la mobilité résidentielle des locataires du secteur privé s’est renforcée, alimentée par la vitalité de la démographie, par les aspirations à une amélioration des conditions de logement que le redressement du moral des ménages rend prégnantes et par les besoins de mobilité familiale ou professionnelle habituels que la reprise économique renforce. Le changement d’attitude des pouvoirs publics à l’égard de l’investissement et du secteur locatif privé a en outre terminé de rassurer les offreurs. Toutes les conditions d’un redressement du marché étaient dès lors réunies, comme la remontée rapide des ventes des promoteurs aux investisseurs a pu l’illustrer par ailleurs.
Depuis le début de l’année 2015, la reprise d’activité du marché locatif privé se confirme. Alors que normalement durant l’hiver le marché se replie, la mobilité résidentielle (1) des locataires du secteur privé n’a pas fléchi cette année. Et avec le retour du printemps, la reprise s’est consolidée : la mobilité s’établit maintenant à 28.2 %, légèrement au-dessus de sa moyenne de longue période. Et elle retrouve un niveau comparable à celui qui se constatait habituellement en début d’année avant la grande dépression des années 2008-2009.
Mais au-delà des tendances à la reprise du marché locatif privé qui se dessine dans la plupart des régions, le risque d’une crise quantitative sévère de l’offre locative privée se renforce dans des villes où les déséquilibres des marchés sont déjà prononcés (Lille ou Paris, notamment), du fait de l’insuffisance de la construction privée constatée depuis de nombreuses années. C’est une situation de blocage du marché comparable à celle qui s’était observée durant les années du « désengagement des propriétaires bailleurs », alors que dans ces villes la mise en oeuvre de l’encadrement des loyers risque de conduire les propriétaires bailleurs dont les recettes locatives vont fortement baisser à restructurer leur patrimoine en défaveur des placements immobiliers.
Le recul des loyers de marché
Suivant son profil saisonnier, le rythme de la hausse des loyers de marché ralentit habituellement durant l’automne. Et comme les mois d’hiver ne sont généralement pas ceux durant lesquels la demande est la plus dynamique, il est courant de constater que les loyers baissent en début d’année.
Loyer 2015 (variation 2015)
Reims 12,5 €/m2 (0,9%)
Le Mans 9 €/m2 (0,5%)
Nantes 12,6 €/m2 (0,2%)
Bordeaux 12,8 €/m2 (0,2%)
Dijon 11,2 €/m2 (0,1%)
Toulouse 12 €/m2 (-0,3%)
Toulon 11 €/m2 (-0,3%)
Grenoble 11,9 €/m2 (-0,4%)
Montpellier 13,8 €/m2 (-0,5%)
Saint-Etienne 7,7 €/m2 (-0,6%)
Rennes 12,2 €/m2 (-0,9%)
Nimes 10,1 €/m2 (-1,3%)
Strasbourg 12,5 €/m2 (-1,5%)
Le Havre 11 €/m2 (-1,6%)
Angers 10,1 €/m2 (-1,7%)
Paris 24,8 €/m2 (-2%)
Nice 15,3 €/m2 (-2,3%)
Lille 13,2 €/m2 (-2,3%)
Lyon 12,8 €/m2 (-2,8%)
Marseille 11,5 €/m2 (-7%)
Ainsi au début de l’année 2015, et en dépit d’un redressement de la mobilité résidentielle, les loyers de marché ont baissé : mais le recul a été rapide cette année (- 0.9 % à fin février, en glissement annuel), à un rythme comparable à celui observé en 2013 à la même époque.
Après un début d’année morose, le rythme de la hausse des loyers s’accélère normalement avec l’arrivée du printemps. Mais cette année, la baisse des loyers de marché s’amplifie : la diminution des loyers de marché constatée à fin mai est rapide, avec – 1.5 % sur les cinq premiers mois de l’année, en glissement annuel (2). CLAMEUR n’avait pas encore observé une telle situation, depuis 1998. Ainsi depuis 2006, les loyers de marché ont augmenté de 1.1 % par an, en moyenne, donc moins vite que l’inflation (+ 1.2 % en moyenne, chaque année) : le décrochage est remarquable, puisque de 1998 à 2006 ces mêmes loyers avaient augmenté de 4.0 % chaque année, pour une inflation qui était de 1.8 % par an.
Et, sur un marché locatif privé dont l’activité se ressaisit, les loyers de marché reculent dans 57.2 % des villes de plus de 10 000 habitants : en 2014, à la même époque, cette proportion était de 34.9 % ! C’est la situation la plus dégradée que CLAMEUR a eu à observer depuis 2009.
Les loyers en 2015 dans les villes de plus de 148 000 habitants d’après Clameur/mai 2015
Par exemple, les loyers baissent depuis le début de l’année 2015 dans 74.4 % des villes de plus de 100 000 habitants:
– les loyers baissent depuis le début de l’année 2015 à Amiens, Angers, Besançon, Caen, Le Havre, Lille, Limoges, Marseille, Mulhouse, Nancy, Nîmes, Perpignan, Rouen, Saint Denis ou Saint Etienne. Dans ces villes, le marché locatif privé est toujours en panne ou n’est pas encore suffisamment reparti et depuis 2011, les loyers de marché reculent (même si parfois des périodes de légère hausse viennent rompre la tendance récessive). En outre, sur ces villes, l’évolution des loyers constatée depuis 2006 reste très en deçà de l’inflation ;
– les loyers baissent aussi sur Argenteuil, Boulogne, Grenoble, Lyon, Montpellier, Montreuil, Nantes, Rennes, Strasbourg, Toulon, Toulouse ou Villeurbanne. Mais dans ces villes, les loyers ont augmenté moins vite que l’inflation depuis 2011. Et sauf sur Lille, la hausse des loyers constatée depuis 2006 est aussi inférieure à l’inflation ;
– en revanche, si les loyers diminuent aussi depuis le début de l’année 2015 sur Metz, Nice, et Paris, ils ont en général progressé un peu plus vite que l’inflation, depuis 2006 ou depuis 2011, d’ailleurs.
La montée de la vacance locative
Sur un marché qui commence à se ressaisir, la baisse des loyers de marché s’accompagne d’un relâchement de l’effort d’amélioration et d’entretien des logements (les relocations après travaux) (3) : 12.9 % des logements reloués ont bénéficié de gros travaux d’amélioration et d’entretien avant leur remise en location depuis le début de l’année 2015. L’effort s’établit maintenant nettement sous sa moyenne de longue période : le constat est inquiétant pour l’avenir (dégradation de la qualité du parc, détérioration des conditions de logement, …).
En outre, depuis 2009, le recul de l’activité s’est accompagné d’un allongement rapide des délais moyens de remise en location, alors que les exigences des candidats à la location sont plus grandes que par le passé : ainsi, la durée de la vacance locative qui s’était déjà accrue de 10.5 % entre 2008 et 2011, a encore augmenté depuis pour s’établir à son plus haut niveau depuis 1998 (+ 29.9 % depuis 2008). Cette remontée de la vacance locative résume à elle seule la dégradation du marché locatif privé.
Les pertes de recettes locatives qui résultent de la montée de la vacance ne sont pas négligeables : la montée de la vacance locative constatée depuis 2008 représente 1.9 semaine de recettes perdues. Et le niveau actuel de la vacance, 8.3 semaines en moyenne (4), équivaut à une perte annuelle de 4.5 % des loyers perçus. Afin de faciliter les remises en location et de contenir les pertes de recettes dues à la vacance, le maintien d’un effort d’amélioration à haut niveau s’imposerait donc : mais sans garantie sur le « retour sur investissement ». Aussi, alors que l’environnement des marchés est dégradé et incertain, les propriétaires bailleurs différent ou abandonnent de plus en plus fréquemment leurs projets d’amélioration et d’entretien de leur patrimoine.
(1) Le taux de mobilité résidentielle mesure la proportion de logements du secteur locatif privé qui sont remis chaque année sur le marché : comme les logements disponibles à la location proviennent pour plus de 95 % d’une relocation, cet indicateur permet d’apprécier l’activité du marché locatif privé.
(2) En glissement annuel (GA), le niveau moyen des loyers observés par CLAMEUR sur les cinq premiers mois de 2015 est comparé au niveau constaté en 2014 à la même époque.
(3) Cet indicateur mesure la part des logements locatifs remis sur le marché après la réalisation de gros travaux d’amélioration et d’entretien, donc hors les petits travaux de réparation et de rafraichissement qui sont plus fréquents.
(4) En fait, en moyenne, 10 semaines au total si on prend en compte le temps nécessaire à la réalisation d’éventuels travaux d’amélioration et d’entretien : donc si on mesure la durée totale pendant laquelle le bailleur perd des recettes locatives.