«Immobilier : contrairement aux prévisions, les prix continuent de grimper » titrait le journal Le Monde début 2019. Les prévisions (économiques) sont pourtant censées prévoir ce qui va advenir. Elles doivent permettre aux acteurs économiques d’ajuster leurs décisions (suis-je dans un marché haussier ou baissier ? dois-je acheter, vendre ou reporter ma décision ?) et aux décideurs politiques d’appliquer au bon moment des correctifs éventuels (soutien de l’offre, de la demande, incitations et taxations adéquates, etc.). Aujourd’hui, les modèles de prévision des évolutions des marchés immobiliers se fondent largement sur des informations concernant les transactions immobilières signées. Ces informations prévoient donc surtout le passé. Elles restent au final d’une utilité assez limitée, à moins de considérer que ce qui va advenir est identique à ce qui s’est passé…
N’est pas oracle de Delphes qui veut
Un premier niveau d’amélioration des modèles de prévision consiste à intégrer des variables macroéconomiques qui sont susceptibles de prédire le comportement des ménages et d’anticiper les inversions de tendance (de taux d’intérêt, de fiscalité, de salaires, etc.). Les prévisions découlent alors des hypothèses qui reposent sur les liens théoriques sous-jacents (le niveau de taux d’intérêt influence-t-il le comportement d’achat ? dans quelle proportion ? dans quels cas ? etc.). Mais, aussi complexes soient-ils, ces modèles fournissent des résultats qui s’avèrent finalement assez décevants, et la boutade de Winston Churchill est toujours d’actualité : « Quand j’interroge six économistes, dont Keynes, sur ce qu’il convient de faire, j’obtiens sept réponses différentes. Oui, sept : une pour chacun d’entre eux. Et deux fournies par Keynes lui-même… ». Malgré leurs raffinements, aucune des nombreuses modélisations n’a anticipé la crise des subprimes qui a ébranlé l’ensemble des économies mondiales en 2007.
Des prédictions basées sur les recherches Internet
Une seconde étape, plus innovante, consiste à utiliser d’autres informations, potentiellement plus prédictives et plus précises. L’enjeu est de remonter en amont des décisions et des signatures, y compris d’avant-contrats ou de promesses de vente. En 2012, l’économiste Hal Varian a proposé un modèle de prévision fondé sur l’analyse des recherches réalisées sur Google par les ménages américains. En effet, les requêtes effectuées sur Internet constituent des indications précieuses sur les intentions de transactions futures. Très faciles à collecter, ces milliards d’informations peuvent être traités en temps quasi réel et à des niveaux très fins, notamment via Google Trends. Appliquées au marché immobilier américain, les prédictions de son modèle se sont révélées bien meilleures que celles des experts de la NAR (National Association of Realtors). Et même trois ans après la publication, son modèle était encore plus performant que la NAR, montrant la persistance de la valeur informationnelle dérivée de l’analyse des requêtes Google. Cette découverte a été affinée en 2015 par les chercheurs Wu et Brynjolfsson qui ont calculé qu’une augmentation de 1 % des requêtes « agents immobiliers » sur Google était associée à une hausse de 3 500 ventes le trimestre suivant aux États-Unis et permettait d’anticiper correctement l’évolution des prix.
« Il suffira de penser à un achat immobilier pour que cette information soit codée et serve à ajuster les prévisions. » Fabrice Larceneux
Modéliser les émotions …
Ces nouvelles analyses ont encore été améliorées en 2018 en modélisant les émotions des acteurs économiques. Hausler et ses collègues ont utilisé le machine learning pour créer un indicateur d’optimisme et un indicateur de pessimisme sur la base de ce que les professionnels écrivaient sur la plateforme Standard & Poors. Après analyse textuelle automatisée de 55 000 posts immobiliers, les résultats montrent que ces indicateurs d’humeur prédisent finement les évolutions des marchés. Ces mesures seraient même plus prédictives que les indices de confiance des grands instituts statistiques et que les variables macroéconomiques traditionnelles (taux d’intérêt, etc.). Nul doute que des améliorations majeures sont encore possibles à mesure que l’on intègrera dans l’analyse les dynamiques locales, historiques, géographiques et culturelles.
… coder les pensées
Ces nouvelles sources d’information et leurs modélisations ouvrent la voie à un changement radical dans la prédiction des décisions, qu’elles soient individuelles ou politiques. Et il est fort à parier que, demain, on réussira à identifier ce que les acteurs économiques ont en tête avant même qu’ils n’écrivent des posts ou des requêtes Google. Les smartphones, les ordinateurs ou les enceintes connectées peuvent écouter les conversations et traiter directement ces informations. Les prévisions économiques pourraient alors être ajustées en continu.
Et après-demain ? On pourra sans doute décrypter les rêves… D’ores et déjà, les chercheurs ont acquis les compétences nécessaires pour coder les pensées humaines à partir des impulsions électriques du cerveau qu’ils peuvent transcrire directement en mots. Plus besoin d’écrire quelque chose ou d’en discuter avec quelqu’un, il suffira de penser (à un achat immobilier, par exemple) et cette information sera automatiquement enregistrée et décryptée. Ce programme de recherche est aujourd’hui financé par Facebook au sein de son nouveau centre de recherches Social Science One. Les Gafa sont sur la bonne voie pour atteindre l’objectif que Marc Zuckerberg s’était fixé en 2013 : vouloir créer « la plus pure modélisation de toute la connaissance du monde ». A terme, prévoir le présent pour mieux influencer l’avenir ? Des chercheurs coréens ont récemment rapporté dans le Journal of Bionic Engineering comment les pensées humaines pourraient contrôler le comportement d’autres êtres vivants, en l’occurrence des tortues cyborg. En utilisant le BCI (Brain-Computer Interface), il suffit de penser à une direction pour qu’elles suivent le chemin désiré. Cette technologie était déjà adaptée aux chaises roulantes, aux drones et aux voitures, mais de là à ce qu’une tortue achète une maison…
Sources : « Predicting the present with Google Trends », H. Choi & H. Varian (2012). Economic Record, 88, 2-9.
« News-based sentiment analysis in real estate: a machine learning approach », J. Hausler, J. Ruscheinsky & M. Lang (2018). Journal of Property Research, 35 (4), 344-371.