La Commission nationale des sanctions a prononcé 89 sanctions concernant des agences immobilières (70 %) incluant 33 interdictions d’exercer, 4 avertissements, 2 blâmes et 33 sanctions pécuniaires. Entretien avec son président, Francis Lamy.
JDA : Le rapport d’activité 2018 du rapport de la Commission nationale des sanctions vient d’être rendu public. Quel est votre bilan ?
Francis Lamy : La Commission nationale des sanctions est en activité depuis la fin de l’année 2014. Son champ de compétences est de sanctionner les agences immobilières, les domiciliataires, les opérateurs de jeux et paris, y compris en ligne, les antiquaires, et galeries d’art, les professionnels du secteur du luxe et les agents sportifs ayant enfreint leurs obligations. Comme les années passées, la majorité des sanctions touche des agents immobiliers : sur les 128 sanctions prononcées en 2018, 89 concernent l’immobilier !
JDA : Quels sont les manquements sanctionnés ?
F. L. : La commission retient le plus fréquemment les manquements à l’obligation de formation et d’information des collaborateurs sur la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme, et à l’obligation de mettre en place des systèmes d’évaluation et de gestion des risques. La commission vérifie et sanctionne, en outre, les manquements portant sur l’obligation d’identification et de vérification de l’identité du client et des bénéficiaires effectifs.
JDA : Les professionnels de l’immobilier connaissent-ils leurs obligations ?
F. L. : Force est de constater, après quatre années de fonctionnement, que la connaissance par les professionnels de l’immobilier de leurs obligations demeure insuffisante. Ils n’ont pas d’idée précise du contenu de leurs obligations. Cette situation est sûrement due à la petite taille de la grande majorité des entreprises. Si la plupart des professionnels de l’immobilier auditionnés suite à un manquement signalé par la DGCCRF ont entendu parler d’une réglementation antiblanchiment, ils n’ont aucune idée précise de leurs obligations. L’an passé encore, tous les agents immobiliers auditionnés par la commission ont fait l’objet de sanctions.
JDA : Quelle est la nature de ces sanctions ?
F. L. : Le Code monétaire et financier prévoit d’abord des sanctions pécuniaires, qui peuvent aller de 1 000 à 5 000 000 euros. En 2018, 9 sanctions pécuniaires sur 48 ont atteint un montant supérieur ou égal à 5 000 euros, dont 3 sanctions de 10 000 euros ou plus. Ces sanctions financières sont le plus souvent accompagnées d’interdictions temporaire d’exercice de l’activité avec sursis, lesquelles ont un caractère fortement dissuasif. Il en va de même pour la publication quasi systématique des sanctions dans un but d’information des professionnels.
JDA : Ces publications judiciaires sont anonymes ?
F. L. : Le plus souvent. Mais cette situation devrait évoluer car l’ordonnance du 1er décembre 2016 et le décret d’application du 18 avril 2018 prévoient que le principe est la publication nominative sauf exception décidée par la Commission.
JDA : Vous orientez-vous vers un durcissement des sanctions ?
F. L. : Aujourd’hui, dans son existence la réglementation est mieux connue des publics concernés mais elle est toujours très insuffisamment appliquée. Nous avons déjà un peu relevé les sanctions. Les manquements examinés font l’objet de sanctions financières de 2 000 à 3 000 euros en moyenne et d’une interdiction d’exercer pendant six mois avec sursis. Augmenter significativement le montant des sanctions financières risque de fragiliser les agences immobilières. Prononcer des interdictions d’exercer sans sursis risque de mettre en péril la survie de l’entreprise. Le durcissement vers lequel nous nous orientons, c’est davantage de publications nominatives de nos décisions.
JDA : Concrètement, que doivent savoir les agents immobiliers ?
F. L. : La lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme revêt une importance qui s’est accrue depuis plusieurs années. Elle contribue non seulement à la sécurité intérieure, à la protection de l’ordre public et à la sécurité de notre territoire mais également au bon fonctionnement de la concurrence. Elle permet aussi aux professionnels de l’immobilier de se prémunir contre le risque d’être associés à leur insu à une opération de blanchiment ou de financement du terrorisme qui pourrait mettre en cause leur réputation voire l’existence même de leur activité. Je rappelle aussi que, depuis la fin 2018, les activités de location sont aussi soumises à la législation antiblanchiment.
« La réglementation est mieux connue des publics concernés mais est toujours très insuffisamment appliquée […]. Le durcissement vers lequel nous nous orientons, c’est la publication nominative de nos décisions. »
JDA : Que doivent faire les professionnels de l’immobilier ?
F. L. : Ils doivent se conformer à leurs obligations de formation, justifier systématiquement l’identité de leurs clients et l’origine des fonds et aussi mettre en place des systèmes d’évaluation et de gestion des risques. Cette dernière obligation demeure aujourd’hui leur principale difficulté. Pour les aider, nous avons mis en place, à titre d’illustration, une méthodologie pour mettre en oeuvre la loi. Tous les agents immobiliers doivent se doter d’un système de gestion et d’évaluation des risques en veillant à l’adapter aux caractéristiques de leur activité et de leur clientèle, et le partager à l’ensemble de leurs collaborateurs, salariés ou indépendants.
Enfin, ils doivent faire remonter leurs obligations de soupçons Tracfin. Sur les 76 316 déclarations de soupçons reçues par Tracfin l’an passé, seules 274 émanaient de professionnels de l’immobilier, un chiffre toutefois en hausse de 54 %.
JDA : Les obligations antiblanchiment valent aussi au niveau européen…
F. L. : Oui, ces obligations ne sont pas seulement nationales. Une coopération internationale importante s’est développée dans le cadre des travaux du Groupe d’action fi nancière (Gafi ) créé par le G7 pour défi nir les règles à mettre en place dans ce domaine par chacun des 38 États membres. Le Gafi procédera en 2020 à l’évaluation de leur mise en oeuvre par la France. En 2020, les professionnels auront des comptes à rendre aussi au Gafi .
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