Chaque année ce ne serait pas moins de 500 000 ventes immobilières qui ont au préalable débuté leur commercialisation par l’intervention d’un professionnel soumis à la loi du 2 janvier 1970 dite loi Hoguet, communément appelé agent immobilier, mais qui prend aussi de nouvelles appellations tel que chasseur immobilier avec les temps actuels et les diversifications des plans marketing.
L’intermédiation immobilière, tant sur le plan de la vente que de la location, n’est pas le pré carré de l’agent immobilier, il est ouvert à plusieurs professions qui en font un accessoire de leur activité principale tels que les notaires. Chaque profession intervenant dans l’intermédiation est à la fois soumise à la réglementation générale et la réglementation qui lui est particulière.
Ces professions connexes participent très souvent ensemble aux mêmes dossiers mais force est de constater que leurs réglementations propres créent une rupture de langage entre elles. Il est fréquent de constater que malheureusement les notaires, premiers partenaires des agents immobiliers, méconnaissent la réglementation issue de la Loi Hoguet et que ces derniers aussi en font aussi souvent une interprétation erronée.
La loi dite Hoguet du 2 janvier 1970 et son décret d’application du 20 juillet 1972 peuvent souffrir d’une critique, celle de son âge et son inadéquation aux temps modernes. Source de conflits d’interprétation nombreux et d’une jurisprudence abondante qui continue encore d’en donner le sens cinquante ans après son entrée en vigueur, il faut revenir sur des points méconnus de cette réglementation spécifique.
Loi Hoguet, loi spéciale
Parce qu’elle régit une population particulière et limitée la loi Hoguet est dite loi spéciale. Rappelons-nous l’adage latin « specialia generalibus derogant », les lois spéciales dérogent aux règles générales. Ainsi, la loi Hoguet et son décret d’application supplanteront les règles générales.
Une première idée reçue est quant à l’effet relatif du mandat. Le mandat est un contrat entre un propriétaire et un professionnel le missionnant d’effectuer une prestation. Ainsi, sur le plan de l’effet relatif des contrats, le mandat oblige seulement le propriétaire et le professionnel.
Bien souvent se pose la question de la validité du mandat de l’agent immobilier qui a mis à charge de l’acquéreur ou du locataire (pour partie) le paiement de la rémunération d’intermédiation. En reprenant les règles du Code Civil posées par l’article 1199 et suivants, un contrat ne peut faire peser d’obligation sur un tiers. Un contrat ne peut nuire à un tiers et ne peut que lui profiter (stipulation pour autrui). Néanmoins, le mandat de l’agent immobilier répond de la loi spéciale. Comment l’acquéreur ou le locataire, qui n’a pas consenti à cette convention peut-il s’y voir obligé ? Par le jeu de la loi spéciale qui supplantera cette prohibition posée par le Code Civil et l’interprétation récurrente de la Cour de Cassation en se fondant notamment sur l’alinéa 2 de l’article 73 du décret d’application qui prévoit que la rémunération puisse être mis à la charge de l’une ou l’autre des parties à la transaction voir les deux 1 et 2. Par conséquent, le mandat issu de la loi Hoguet peut obliger l’acquéreur, encore inconnu à la conclusion du contrat, à s’exécuter lorsque la mission sera pleinement remplie et constatée dans un acte comportant l’échange des consentements, en assumant le paiement des honoraires.
Un contrat au formalisme strict
Autre exemple de la suprématie de la loi Hoguet sur les règles ordinaires posées par le Code Civil, le mandat de l’agent immobilier répond à des impératifs fixés par l’article 6 de la loi du 2 janvier 1970 : il doit être écrit en double exemplaire originaux identiques3 ; la dérogation par l’exemplaire unique entre les mains d’un tiers semblant écartée. ; et à minima, l’exemplaire du mandant doit comporter le numéro d’inscription au registre légal du mandataire sous peine de nullité4.
Il se pose aussi fréquemment la problématique du mandat conclu à distance, où l’agent immobilier envoie à son client le mandat pour signature ; bien souvent, par zèle, le mandataire se contente de recevoir de son client une copie numérisée de ce mandat par courriel, ce qui fait entorse à la nécessité de détention d’un original. Et plus encore se pose la difficulté de s’assurer de l’apposition sur l’exemplaire du mandat du numéro de registre prévu en l’article 72 du décret de 1972.
La bonne démarche, outre la faculté désormais ouverte par les articles 1366 et 1367 du Code Civil de signer numériquement cet acte, pourrait être pour le professionnel de faire parvenir à son mandant deux exemplaires dudit contrat pour signature, puis de les recevoir à nouveau, de s’assurer de leur identité, puis d’apposer sa signature et le numéro d’enregistrement avant de remettre aux services postaux le bon soin de délivrer au mandant son exemplaire.
Néanmoins, se pose la problématique de la remise immédiate au mandant de son exemplaire pour qu’il puisse bénéficier de son délai de rétractation… La remise par LRAR serait la solution prouvant une remise immédiate.
Il est d’ailleurs une spécificité méconnue des professionnels concernant la remise du mandat assorti d’une clause d’exclusivité. En pareil cas, la réglementation professionnelle pose en l’article 78 du décret l’obligation de remise immédiate d’un exemplaire du mandat au mandant5 et la jurisprudence est même allée préciser la modalité de cette remise en l’absence du client, savoir le recours à lettre recommandée avec avis de réception6, la lettre simple étant insuffisante pour prouver la remise immédiate.
Un mandat aux effets très limités
Une autre acception populaire concernant le mandat et son exécution est la fameuse « offre au prix » lorsqu’un acquéreur émet une offre d’achat ferme et sans négocier le prix notamment ; il est couramment considéré qu’il y a accord sur la chose et le prix et que le vendeur est tenu de poursuivre la vente et délivrer le bien à l’offrant. Cette considération résultant tout simplement des règles bien connues du Code Civil.
D’ailleurs nombre de mandats d’agents immobiliers sont intitulés « mandat de vente » et contiennent des indications telles que « le mandant s’engage à ratifier la vente à tout acquéreur présenté par le mandataire qui accepte les charges et conditions … » et laissent entendre tant aux parties qu’à l’acquéreur que la vente est engagée dès que ce dernier accepte les conditions sans réserves.
La méconnaissance de la loi Hoguet sur ce point, surtout de la part des professionnels, entraîne un contentieux injustifié.
En effet, la Cour de Cassation a eu l’occasion à plusieurs reprises de rappeler la véritable qualification du mandat loi Hoguet. La haute juridiction a pu dire7 dans un arrêt que tant l’intitulé du mandat que la clause « ratifier la vente à tout preneur présenté par l’agence X en acceptant le prix et les conditions des présentes » étaient insuffisants au regard des exigences posées par l’alinéa 3 de l’article 72 du décret de 1972 pour engager l’opération de vente. La Cour a réaffirmé qu’une offre d’achat aux prix et conditions du mandat de l’agent immobilier n’engageait pas le vendeur8 et qu’ainsi le professionnel n’avait pas droit à honoraires mais à néanmoins à indemnisation sa mission étant réputée accomplie, rappelant ainsi la qualification du mandat en simple contrat d’entremise ; elle a par la suite d’ailleurs précisé dans un arrêt de principe9 que ce refus du vendeur ne pouvait donner lieu à une indemnisation du professionnel que si le mandat comportait une clause pénale le prévoyant expressément. Cet arrêt a aussi été l’occasion de rappeler l’alinéa 3 susvisé « Lorsqu’il comporte l’autorisation de s’engager pour une opération déterminée, le mandat en fait expressément mention. ». Il faut donc entendre, à la lecture de la jurisprudence, que pour qu’un vendeur puisse être contraint de vendre il faut que le mandat transfère le pouvoir pour l’agent immobilier d’aliéner le bien en lieu et place du mandant avec une véritable clauses de représentation. A défaut, le mandat est un simple mandat d’entremise.
Au surplus, cette fameuse « offre au prix » doit, selon la Cour d’Appel de Paris10, correspondre exactement au mandat, tant en termes de prix que d’honoraires. Ainsi, un professionnel qui ferait un rabais sur ses honoraires pour apporter le prix demandé dans le mandat à son mandant ne peut prétendre à la réalisation de la mission.
La solution semblait figée mais la Cour de Cassation a opéré un revirement de jurisprudence en 201611 en donnant une lecture des plus strictes de la loi Hoguet (article 6 I alinéas 8 et 10) et son décret d’application (article 72) qui disposent que le professionnel n’a droit à aucune rémunération, indemnisation de frais engagés, honoraires, etc… tant que l’opération n’a effectivement été constatée par un acte écrit contenant l’engagement des parties. Ainsi, en l’espèce, la Cour de Cassation a débouté le professionnel de sa demande d’indemnisation après avoir présenté par trois fois des offres correspondant au prix demandé par le mandant car aucun acte n’est venu constater l’échange des consentements entre vendeur et acquéreur. Cette solution est des plus lourdes contre le professionnel qui avait certainement engagé et multiplié les démarches pour aboutir au résultat conformément à la mission confiée par le mandat.
Ainsi, actuellement, les professionnels soumis à la réglementation de 1970, ne disposent plus, en pratique, que de mandats ne leur conférant plus que des devoirs sans aucun droits. Il ne peut qu’être conseillé aux rédacteurs des mandats d’insérer désormais dans leurs actes la clause de représentation donnée par le mandant au mandataire qui pourra ainsi aliéner le bien et effectuer toutes les formalités afférentes en son nom et pour son compte ; et d’assortir ce pouvoir d’une clause pénale donnant droit à l’agent immobilier de percevoir une indemnité compensatrice de sa rémunération en cas de faute du mandant faisant obstacle à la bonne poursuite de la vente.
Nonobstant les considérations ci-avant, si le professionnel continue d’employer des mandats d’entremise, et au regard de l’article 1114 du Code Civil créé par la réforme du droit des obligations de 2016, il ne peut être que recommandé à celui-ci d’informer les acquéreurs potentiels que les offres de vente qu’il affiche tant dans sa vitrine que ses supports de communication et conditions générales de vente ne sont pas de réelles offres de vente au sens de cet article mais de simples invitations à entrer en négociation (pourparlers) par son intermédiaire avec le vendeur.
La restriction de la libre concurrence
Il est un autre point fréquemment méconnu : la possibilité de restreindre la libre concurrence entre les agences. Dans des cas fréquents, un acquéreur visite un bien par un l’intermédiaire d’un premier professionnel et s’aperçoit qu’un second professionnel le propose aussi mais à un prix inférieur, voir avec un taux d’honoraires plus avantageux ; cet acquéreur choisit donc de traiter par l’intermédiaire de l’agent immobilier proposant le bien aux conditions financières les plus avantageuses et la Cour de Cassation consacrait effectivement le principe de libre concurrence entre les professionnels. Mais dans un arrêt de 201112, la 1ère Chambre Civile a reconnu comme non abusive la clause restreignant cette libre concurrence et qui prohibe à un vendeur de traiter tant directement que par l’intermédiaire d’un autre professionnel avec un acquéreur qui aurait été présenté par le mandataire.
Cette méconnaissance conduit souvent à des conseils erronés donnés tant aux acquéreurs et aux vendeurs de leur possibilité de traiter avec un autre intermédiaire qui permettrait la réalisation de la transaction à des conditions financières plus avantageuses. Cette erreur de conseil conduit de manière constante à la condamnation des vendeurs mandants à indemniser le premier agent immobilier à hauteur du montant des honoraires qu’il aurait dû percevoir. Avant d’envisager une telle manœuvre, qui peut aussi constituer une fraude pouvant être sanctionnée sur le champ de la responsabilité quasi-délictuelle, il conviendra donc d’examiner le mandat du premier agent immobilier et de constater ou non la présence d’une telle clause.
L’exécution du mandat et la communication de l’offre
Il est une dernière erreur fréquemment commise par les professionnels de la loi Hoguet lors de l’exécution de leur mandat, au moment de la transmission de l’offre.
La loi Hoguet et son décret ont un demi-siècle d’existence, les moyens de communication et de transmission ne sont plus les mêmes actuellement. Néanmoins les règles n’ont jamais été réactualisées.
Dans un souci de praticité et célérité, les professionnels transmettent les offres d’achat reçues trop souvent par courriel, voire même il y a encore peu de temps par télégramme téléphonique. La régularité de la transmission de l’offre par le professionnel ayant toute son importance puisqu’elle peut faire naître des droits et obligations ; et notamment le droit à rémunération du professionnel est suspendu à cette transmission régulière.
Mais il se pose à nouveau la question de la réglementation issue de la loi Hoguet. La Cour de Cassation est venue rappeler11 que la transmission de l’offre d’achat par le mandataire à son mandant ne pouvait se faire que conformément à l’article 77 du décret de 1972 qui dispose en son alinéa 2 : « L’information est faite par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ou par tout autre écrit remis contre récépissé ou émargement. »
Au surplus, elle rappelle que ces dispositions sont d’ordre public, point trop souvent ignoré des professionnels qui ont cru ces modalités supplétives de volonté en transmettant leurs offres par télégramme téléphonique14 ou encore par lettre simple13.
Avec les avancées des technologies de l’information et de la communication les professionnels sont tentés de recourir au courrier électronique pour transmettre les offres reçues, mais cette pratique, même si elle était acceptée par dérogation contractuellement par le mandant, serait inopérante car il est impossible de déroger aux modalités de transmission prévues par l’article 77 qui sont d’ordre public ; d’ailleurs, la communication par courriel présente techniquement l’incertitude de la réception par son destinataire, et donc son opposabilité, ce qui ne devra jamais rendre ce moyen de communication comme fiable en pareille matière.
La seule avancée technologique que l’on pourrait admettre serait le recours à la lettre recommandée électronique prévue par l’article 1369-8 du Code Civil ; mais cette possibilité a pour impératifs d’avoir recueilli au préalable dans le mandat à la fois le consentement du futur destinataire de cette lettre recommandée électronique contenant l’offre à la recevoir sous cette forme numérique et aussi d’avoir désigné lors du recueil de ce consentement une adresse courriel de réception de cette lettre par mandant.
Nullité du mandat
Pour terminer ces rappels sur le mandat issu de la loi Hoguet, il faut revenir sur deux arrêts récents qui ont appliqué la réforme du régime des nullités issus de la refonte du droit des obligations de 2016 au mandat de vente.
Auparavant, le mandat était fréquemment frappé de nullité absolue, bien souvent à la demande d’un acquéreur désireux de ne pas payer d’honoraires d’intermédiation en faisant constater l’irrégularité du mandat.
Mais la réforme de 2016 du régime des nullités est venue mettre un coup d’arrêt à ces pratiques. En Chambre Mixte15, la Cour de Cassation a jugé que le mandat qui méconnait du formalisme de la loi Hoguet ne pouvait plus désormais être frappé que de nullité relative ; arrêt confirmé par la 1ère Chambre Civile16 quelques mois plus tard.
Conclusion
Le mandat issu de la loi Hoguet est un véritable OVNI juridique dans le monde de la transaction immobilière ; à la fois peu connu des notaires et mal compris des agents immobiliers, l’inobservation de son formalisme et les manquements aux impératifs édictés par cette réglementation spéciale lors de son exécution, conduit à un dialogue de sourds entre les notaires, les agents immobiliers et leurs clients.
Il ne peut être que préconisé aux agents immobiliers de bien veiller à la forme et au contenu de leurs mandats pour pouvoir justifier de leurs prétentions de rémunération ou indemnisation et aussi se libérer de tout devoir d’information tant du mandant vendeur que de l’acquéreur qui se verrait privé, ne serait-ce que moralement, du bien qu’il convoitait.
Jurisprudences
1 Cass. 1ère Civ – 3 avril 2002 – n°99-20206
2Cass. 3ème Civ – 3 juin 2008 – n°07-13990
3Cass. 1ère Civ – 5 mai 1982 – n°81-11028
4Cass. 1ère Civ – 16 novembre 2004 – n° 02-10301
5 Cass. 1ère Civ – 25 février 2010 – n°08-14787
6 Cass. 1ère Civ – 28 septembre 2016 – n°15-19313
7 Cass. 1ère Civ – 10 mai 1995 – n°92-16114
8 Cass. 1ère Civ – 14 décembre 2004 – n°03-10528
9 Cass. 1ère Civ – 28 juin 2012 – n°10-20492
10 Cour d’Appel de Paris – 16 janvier 2014 – n° 11-23023
11 Cass. 1ère Civ – 16 novembre 2016 – n°15-22010
12 Cass. 1ère Civ – 6 octobre 2011 – n°10-15661
13 Cass. 1ère Civ – 30 mars 2004 – n°02-12604
14Cour d’Appel Versailles – 23 février 2012 – n°10-05708
15Cass. Ch. Mixte – 24 février 2017 – n°15-20411
16Cass. 1ère Civ – 20 septembre 2017 – n°16-12906
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