Je suis parti dans la quatrième ville des États-Unis, Houston (Texas). L’agent immobilier est venu me chercher un dimanche, lendemain de mon arrivée. Pour un budget similaire à la location d’un 50 m2 à Paris, j’appréhendais les visites d’appartements dans lesquels je devais me projeter pour habiter un an.
Un service d’hôtel 5 étoiles
La visite était préparée en amont par l’agent. L’immeuble avait un accès à pied à un «village» et des «vélib’», pour ne pas trop heurter mon Urban European Spirit. Délicate attention. Je suis accueilli dès l’entrée dans des bureaux chics. L’espace « leasing », l’endroit où l’on discute de la location avec les property managers, ces super concierges qui s’occupent de la résidence multi-family. Comme un air d’hôtel haut de gamme. Rebecca, impeccablement habillée de noir, ne fait pas vraiment mention de mes attentes en termes d’appartement. La chose importante est de visiter les parties communes et les services associés. Et c’est là que le European Spirit est quelque peu surpris !
Peintures et sculptures contemporaines émaillent le regard, canapés et fauteuils invitent à passer un moment d’attente. Musique lounge. Au cours de la visite, on réalise que l’immeuble d’habitation est conçu pour satisfaire au mieux des désirs qu’on n’avait pas imaginés : travailler (business center, salle de réunion), se dépenser (piscine, salle de sport), cultiver (carré de plantation de légumes), se reposer (salon intérieur, transats extérieurs), se divertir (billard, salle de cinéma), etc. Tous ces services sont accessibles 24h/24 ou réservables via un accès privé sur la plateforme Internet de la résidence. Tout est conçu pour l’usage d’un habitant-consommateur qui co-crée sa vie en fonction de ses envies.
Plus besoin de voiture. Les courses se font via une application sur smartphone et sont livrées dans un espace de réception dédié qui avertit de la livraison. Plus besoin d’outils. Le handman, salarié de la résidence, vient installer une tringle à rideau ou changer les ampoules. Plus besoin de chambre d’amis, un appartement est disponible pour les invités. Bref, il s’agit moins de louer un appartement standardisé que d’inventer une vie qui va avec les services proposés, personnalisés et flexibles. La salle de réunion s’utilise en salle à manger si besoin. Le salon commun se transforme en cuisine pour l’occasion. La salle de cinéma accueille Netflix ou des jeux vidéo. Tout est possible, fluide et orienté « expérience-client » pour optimiser la satisfaction des résidents et la recommandation sur Internet. Résultat, une note actuelle de 4,9/5. Un 65 m2 pour le prix d’un 45m2 à Paris, un mois offert, des frais d’agence payés par la résidence. Bref, un concept co-living réussi.
Une création de lien social
Mais cette nouvelle manière d’habiter n’est pas seulement orientée vers l’optimisation des services one-to-one. Les espaces sont conçus pour inviter à la rencontre : des barbecues partagés, un canapé circulaire autour du brasero, de grandes tables pour accueillir ses voisins… ces espaces sont investis par les résidents et surtout par les property managers qui les font vivre. Des événements sont organisées régulièrement : le salon commun devient un atelier de peinture pour la soirée Paint and Wine, une cuisine de chef pour la soirée American cooking, ou une table à chips pour le Superbowl. L’objectif est moins ce qui se fait ensemble que le fait de «faire ensemble». Une communauté se forme, l’espace d’un moment partagé. Le lien social se créé, se co-crée et se re-crée à chaque événement.
Cet immobilier multi-family est une parfaite réponse à ce que les sociologues appellent l’ère post-moderne. L’individu postmoderne est né de l’effritement progressif des structures institutionnelles, sociales et morales et d’une volonté de s’affranchir des valeurs traditionnelles et rigides. Cette émancipation individualiste s’est opérée dans un contexte de crise et de désenchantement du monde. Les frontières classiques s’effacent et tout doit être possible, n’importe où, n’importe quand pour retrouver du plaisir. Avec les progrès de la société de consommation, les produits et services ont progressivement libéré l’individu de nombreuses taches aliénantes et lui ont permis de se recentrer sur ses désirs. Devenu caméléon aux désirs multiples, il peut travailler, se divertir et consommer de chez lui et être en contact avec le monde entier.
Mais ce contact reste virtuel. Paradoxalement, narcissisme et isolement caractérisent cette société post-moderne. Pour autant, des tentatives de recomposition sociale voient le jour. De nouveaux liens sociaux sont recréés, non plus au sein de structures traditionnelles (familles, syndicats, écoles, etc.) mais davantage au travers d’un nouveau « tribalisme » (Cova et Cova, 2002*). L’individu post-moderne se retrouve au sein des tribus, éphémères et singulières, des rencontres ponctuelles autour d’une expérience commune, pour « ré-enchanter son monde ».
La génération participation
*Sources : « Tribal marketing : The tribalisation of society and its impact on the conduct of marketing », Cova, B., & Cova, V (2002). European journal of marketing, 36 (5/6), 595-620. « Les paradoxes du consommateur postmoderne », Alain Decrop (2008). Refl ets et perspectives de la vie économique, tome XLVII (2), 85-93.