Alors que la montée en puissance des modèles pure player et du e-commerce conduit certains à prédire la mort des points de vente physiques, comment comprendre l’ouverture récente de magasins, agences, boutiques ou ateliers par les acteurs majeurs du commerce en ligne tels que Amazon, ING direct, Zalando, made.com, et, pour le secteur qui nous intéresse, Capifrance ?
Le point de vente physique aurait-il des atouts que ne saurait délivrer totalement le on line ? Moins opposés que complémentaires les on et off line semblent devoir se penser en synergie et donc en cohérence. C’est dans cet esprit que les grands réseaux s’engagent car, en parallèle de leur révolution digitale, ils maintiennent une volonté affirmée de conserver un modèle omnicanal tenant pour essentiel le contact réel avec le client au sein de l’agence. Le tout digital qui semble séduire nombre d’acteurs pourrait en effet ne pas être aussi déterminant. Lieu de la rencontre et de la proximité avec le client, l’agence est aussi l’espace de la personnalisation, de la relation et de l’expérience de consommation.
L’importance de l’expérience de consommation
Cela fait plusieurs décennies maintenant que se répand l’idée selon laquelle l’origine de la valeur pour les consommateurs ne réside pas seulement dans les qualités des produits/services ou dans la marque et ses valeurs symboliques, mais dans leur usage même. Théorisée par Holbrook et Hirchman en 1982(1), l’expérience de consommation est considérée pour une entreprise de service comme le résultat des interactions entre l’entreprise (personnel en contact, environnement) et ses clients. Sa valeur est intimement liée aux émotions et aux sentiments qu’elle suscite lors de la consommation et qui vont façonner les attitudes (pensées) d’un client à l’égard d’une marque, notamment sa satisfaction et son attachement.
Créer une expérience est d’autant plus important qu’aujourd’hui, l’avantage concurrentiel dépend moins de la qualité du service rendu que de la valeur que l’entreprise est capable de générer pour le client. Si la qualité est un prérequis, celle-ci ne représente plus un facteur différenciateur suffisant. Seule la démarche expérientielle constitue un refuge contre la banalisation de l’offre. Il est donc nécessaire de penser l’expérience client et, sur ce point, l’agence en est un levier essentiel. Conscient de cet enjeu, différents réseaux et agences indépendantes se sont engagés récemment dans une modernisation de leurs points de vente. Leurs nouveaux concepts annoncent la création d’une expérience immobilière inédite. Univers chaleureux et décloisonné, l’agence nouvelle génération gagne en transparence et s’adapte aux nouvelles attentes et modes de vie. Espace café qui cultive l’esprit lounge, self-service et expérience immersive, l’agence est aujourd’hui conçue comme un lieu de vie.
L’expérience phygitale : offrir au client le meilleur des deux mondes
Bien que l’expérience esthétique et émotionnelle puisse se penser on line, à travers le design des sites et le style de communication sur les réseaux sociaux des enseignes, le point de vente physique offre des cadres d’expériences plus riches. Par la mobilisation des cinq sens, la « serviscène »(2) (ambiance, équipement, décor du point de vente) peut servir une logique de réenchantement dont l’intérêt pour attirer le client est incontestable. La stimulation sensorielle, émotionnelle et affective du client participe à son plaisir et répond à des besoins psychologiques. On notera que penser l’expérience du consommateur va au-delà de la prise en compte de sa satisfaction : il s’agit d’assurer qu’à l’occasion de chaque rencontre de service, le plaisir du client soit plus intense et son effort plus léger.
Si l’atmosphère du point de vente (design, température, musique, odeur), ainsi que l’interface de service (personne en contact) sont des éléments structurant de l’expérience du consommateur, les technologies numériques offrent un potentiel important d’enrichissement de cette dernière. Elles permettent en effet d’inventer et d’implémenter des cadres d’expérience novateurs et pertinents, mémorables et plaisants, à même de définir une proposition de valeur client originale. Comment ?
- En réduisant le niveau d’effort et les sources d’irritations du client (prises de rendez-vous en ligne, serrures intelligentes…).
- En simplifiant son parcours d’achat (visite virtuelle, état des lieux numériques…) et en répondant à son désir d’autonomie (self service).
- En lui faisant vivre des expériences immersives et des stimulations plurisensorielles directes (écran plasma, 3D immersive), sources de plaisir.
- En induisant des dynamiques relationnelles (interactions sur les réseaux sociaux, communication story-telling) susceptibles de satisfaire son désir de lien.
Le couplage virtuel-réel est en mesure de capter l’attention du client et de se différencier si les conditions de l’interaction avec le digital sont bien pensées. La boutique phygitale nécessitera une redéfinition des rôles de chacun.
L’agence est morte , vive l’agence !
Bien que mises à mal par les nouveaux acteurs entrant sur le marché immobilier, les agences classiques semblent pouvoir résister, à condition d’adopter un nouveau modèle de boutique immobilière. La confiance, la sécurité mais aussi le contact humain restent fondamentaux. L’agence en est le point d’ancrage.
En effet, en raison de l’immatérialité du service, le consommateur s’appuie sur les signes à sa disposition pour en évaluer sa performance. Lieu de la rencontre avec le client, l’agence véhicule des preuves « physiques » du service. Elle est donc un indicateur essentiel de la qualité et de la confiance dans le prestataire. Elle est en sus le lieu privilégié de l’expérience du client.
Le point de vente physique demeure ainsi un atout essentiel, sous réserve toutefois que l’on garantisse au client une expérience à valeur ajoutée à la fois technologique, hédonique et relationnelle. Avec le déploiement de points de contact virtuels, les attentes relationnelles en agence sont renforcées. Le client, désormais très bien renseigné, est en quête à la fois d’une plus grande efficacité et expertise mais aussi d’une plus grande écoute et empathie. Seuls, l’authenticité et le customer care, à travers une articulation digitale et humaine, seront en mesure de construire des connections émotionnelles et de nouvelles formes de proximités pour une expérience inédite. Il convient avant tout de renouer avec la notion de service client, véritable nerf de la guerre, pour reprendre l’expression d’Hervé Parent(3), et de ne pas oublier que le lien social dans la relation de service est aussi un outil de fidélisation.
L’agence de demain devra être transparente, ouverte, multiservice, multi-expert, connectée (aux clients, à la communauté, aux partenaires, aux objets), agile (services sur mobile), sociale (espace café et lieu de vie), digitale (écrans tactiles, tablettes).
Au-delà de l’expérience, la performance
L’enjeu de l’expérience de consommation pour les enseignes immobilières dépasse ce que vivent les individus. Au-delà de la mise en scène et de l’entrelacement numérique que l’on peut y associer, proposer une valeur phygitale est source de performance. Si sa légitimité est mise en cause, notamment par le coût important qu’elle génère, la question est davantage celle d’une redéfinition de son rôle et de sa fonction que de sa disparition. Levier essentiel de l’expérience du client, l’agence peut être l’élément clé d’une proposition de valeur différenciée et de la performance d’une agence.