En ce moment, le projet de loi Elan poursuit son parcours chaotique au Parlement. Le texte a été largement amendé. Quelle en sera la version finale retenue ? Certainement une loi fleuve, puisque de 66 articles au départ, nous en sommes déjà au double. Comme tous les acteurs du secteur, nous avons participé à toutes les consultations proposées par le Sénat, et l’exécutif. Nous avons été reçus par le Gouvernement et le Parlement. Nous avons proposé des amendements qui nous semblaient justes. Après avoir été entendus, serons-nous écoutés ? En tant que gestionnaires du parc privé existant, et face à tant d’incertitudes, il nous semble opportun de nous concentrer sur ce que nous savons faire le mieux : notre métier.
Dans le détail …
Mandats de gestion : Choqués de voir figurer sur le BonCoin des annonces de location pour des logements sociaux, nous constatons que chaque jour notre portefeuille de gestion de logements privés s’amenuise au profit de l’accession-vente. Nous attendions tous du projet de loi ELAN un rééquilibrage des différents parcs de logements (privé et social). Nous appelions de nos vœux une certaine synergie au lieu d’une opposition. Nous sommes favorables à rendre les logements privés plus abordables, puisque nous savons qu’épargner et investir dans le logement intermédiaire existant permet d’offrir à ceux qui n’ont pas accès au logement social en raison de la pénurie de l’offre et de leurs ressources, une alternative acceptable, sous conditions d’amortissement pour le bailleur. Cette proposition de mobiliser l’épargne privée au profit d’un logement confortable et à prix abordable, nous la portons depuis deux ans. C’est une proposition partagée par l’ensemble des acteurs. Avec le choc de l’offre, l’exécutif, animé par une pensée magique, a cherché des résultats immédiats ; or les temps de la production de logements sont longs, le foncier reste cher, notamment en zone tendue, et même en la déverrouillant, par des mesures très techniques et peut être délétères, il y aura toujours quatre millions de mal-logés. Pour nous, adhérents de l’UNIS, nous qui gérons le parc existant, la vision de notre métier par nos gouvernants ne doit pas se limiter à expliquer à nos clients l’intérêt et le fonctionnement du Bail mobilité et de la Garantie Visale. Voici une vision bien réductrice et totalement ignorante de la réalité ou hors réalité.
Copropriétés : Nous avons intégré, parfois avec souffrance, les modifications préconisées par la loi ALUR et ses multiples décrets d’application. Au sein des assembles générales, nous vivons au quotidien les blocages que certains points très complexes suscitent, parce que les copropriétaires ne votent pas les audits ou les diagnostics, dont ils ne comprennent pas la complexité l’articulation compliquée des mécanismes, et les fonds travaux sont votés à minima. Pour lever les freins et favoriser la prise de décision, rien de mieux que de simplifier la loi de 1965 et son décret de 1967. Nous sommes tous favorables à réformer ces textes, puisque la rénovation énergétique et le plan climat nous y obligent. Or, cet aspect qualitatif n’y figure pas dans le projet de loi Elan. Nous voulons que nos missions soient en cohérence avec la durée des travaux de rénovation. C’est dans un esprit constructif et en toute transparence, que nous travaillons avec la Chancellerie en vue simplifier, via des ordonnances, les règles de la copropriété. L’Assemblée Nationale s’y est montrée favorable. Le Senat a voté contre à notre grande stupeur. Il ne nous reste qu’à attendre l’issue du vote de la commission mixte paritaire et, si elle échouait, une nouvelle lecture par l’Assemblée Nationale à l’automne. Reste la question fondamentale : où est donc passé l’intérêt général ?
Encadrement des loyers : Les tribunaux de Lille et de Paris ont considéré que l’encadrement des loyers n’était pas applicable, parce que ce dispositif n’englobait pas toute l’agglomération. Le projet de loi Elan rectifie donc le texte pour reprendre l’encadrement à titre expérimental pendant 5 ans. Certains disent que d’ores et déjà les prix se sont envolés à Paris notamment. Or ne sommes-nous pas tenus par les indices IRL publiés chaque trimestre ? Il nous faudra faire preuve de pédagogie avec nos clients et les rappeler au bon sens. En effet nous, gestionnaires et agents, risquons d’être sanctionnés si nous n’alimentons pas l’observatoire qui produit les loyers de référence. Pour mémoire, 60% des baux se signent sans intermédiation. Or nous seuls, les professionnels, sommes sanctionnés.
Observatoires des loyers : Nous allons être sollicités partout en France pour nourrir des observatoires des loyers dans chaque métropole. Au risque que chacun demande son propre catalogue de données. Notre observatoire, c’est CLAMEUR qui renforce la mise en place des passerelles de remontées de données locatives et qui s’adaptera à la loi ELAN. Nous devons impérativement le nourrir, et lui seul.
Baux d’habitation & « LOCATIO » : Nous sommes tous titulaires d’une carte professionnelle, délivrée après vérification de notre garantie financière, de notre police de RCP, de nos diplômes et certificats de formation continue. Toutes ces obligations nécessaires ont un coût important. Le projet de loi Elan prévoit la mise en place d’un agrément supplémentaire qui vise aussi nos plateformes de rédaction de baux en ligne. De nouveaux acteurs se lancent sur ces marchés et semblent dispensés de toutes formalités préalables ; c’est une distorsion de concurrence, c’est un scandale. C’est par nos compétences élargies et par le renforcement du lien de confiance tissé, avec nos clients, au quotidien et sur le long terme que nous parviendrons a conserver nos parts de marché, voire à en gagner d’autres. Récemment, l’Etat est allé plus loin en adoubant, sans prévenir quiconque, une start up, « LOCATIO ». Ce nouvel impétrant est une plateforme qui, dans un premier temps, vérifiera, à titre gracieux (en fait, avec nos impôts), l’authenticité des pièces des candidats à la location. Est-ce vraiment le rôle de l’Etat de s’immiscer dans les services commerciaux privés ? Est-ce que la mission de « Locatio » sera-t-elle étendue à la mise en relation, venant ainsi jouer un rôle d’intermédiation que nous exerçons quotidiennement ? Il nous faut lutter maintenant contre un Etat qui devient à la fois législateur, juge et incubateur en direct, de start up dans le plus grand secret. Nous déplorons ce défaut d’information alors même que nous participons aux réunions de préparation des ordonnances sur la copropriété, nous venons de signer avec le ministre de la cohésion des territoires une charte d’engagement sur le programme Habiter Mieux. A aucun moment nous n’avons discuté du bail numérique ou de « Locatio » !
Investissement : C’est la fiscalité qui nous inquiète tous. Pour l’instant, tout nous semble incohérent et dépourvu de sens. En 2017, nous avons été stigmatisés en tant que « rentiers » parce que « pas producteurs de richesse ». Espérons que la prochaine loi de finances fera mieux et différent et n’oubliera pas les engagements pris en faveur de la rénovation du parc social et privé.
CNTGI & numérique : La profession est représentée par le CNTGI sur tous les sujets relatifs à nos activités. Nous avons obtenu qu’il adopte un fonctionnement sur la discipline qui soit moins lourd, plus ciblé, plus efficace, parc rapport à l’usine à gaz, financée aux frais exclusifs des professionnels, initialement prévue. Et qu’il soit compétent sur l’intégralité de la copropriété et non plus seulement focalisé sur le syndic. Nous voulons qu’il s’empare rapidement des sujets liés au numérique (notamment le carnet numérique, le bail numérique, et « Locatio »). Le CNTGI avait pourtant été consulté sur le projet de rapport sur le Numérique il y a deux ans. Et jamais depuis. Nous souhaitons tous poursuivre nos efforts d’investissement en vue d’innover avec efficacité et pragmatisme, même si l’Etat nous impose des tarifs et des contrats types forfaitaires qui, par nature, brident tout élan ambitieux.
Un fourre tout indigeste
Faute de redéfinir un cadre réglementaire efficace qui nous permette d’offrir à nos clients un cadre de vie confortable et à prix abordable, le projet de loi ELAN est devenue un fourre tout indigeste qui s’occupe plus des détails que des objectifs. Il a fallu 4 ans pour appliquer une loi ALUR détricotée trois fois par la suite. En sera-t-il de même pour la loi ELAN ? Tout le laisse à penser. Nous suivrons pas à pas les évolutions du projet de loi Elan et du projet de loi de Finances afin que ce qui se trame dans le plus grand secret, n’aille pas vers plus d’inégalités et d’exclusions.