JDA : Vous venez de publier le rapport d’activité 2017 de la Commission nationale des sanctions. Quel bilan dressez-vous ?
Francis Lamy : Nous enregistrons une légère hausse de notre activité. Nous avons pris 49 décisions de sanctions et, comme les années précédentes, le secteur immobilier est de loin celui qui occupe le plus la commission, avec 76% des décisions. Cela est tout à fait normal compte tenu du nombre d’acteurs, beaucoup plus élevés que les sociétés de domiciliation (20 %) ou des jeux et paris (4 %).
JDA : Combien de professionnels de l’immobilier avez-vous épinglés ?
F. L. : Nous avons sanctionné 18 sociétés et 20 dirigeants l’an passé. La quasi- totalité des dossiers qui nous arrivent font l’objet de sanctions. Cela est tout à fait normal, puisque la commission est saisie sur des manquements caractérisés signalés par la DGCCRF.
JDA : Quelles sont les sanctions appliquées ?
F. L. : Les sanctions retenues ont consisté principalement en des interdictions temporaires d’exercice de l’activité assorties de sursis allant jusqu’à six mois d’interdiction. Comme la loi le permet, ces sanctions ont été complétées par des sanctions pécuniaires qui ont varié entre 1 000 et 30 000 euros. La commission dispose d’une marge de manoeuvre. Lorsque nous constatons que les professionnels ont tout de suite fait des efforts pour se mettre en conformité, nous infligeons un avertissement pour manquement.
JDA : La CNS a commencé à siéger fin 2014. Comment les choses évoluent-elles au niveau des professions immobilières ?
F. L. : En 2015, chaque personne qui arrivait devant la commission était dans l’ignorance de la réglementation. Elles semblaient connaître la loi Hoguet, leurs obligations fiscales mais pas du tout leurs obligations antiblanchiment. Aujourd’hui, on voit que les entreprises connaissent en partie leurs obligations. Mais, même si des progrès existent le retard des professionnels concernés demeure élevé et des efforts importants
restent à accomplir.
JDA : Quel est le profil des entreprises sanctionnées ?
F. L. : La DGCCRF fait très bien son travail, nous sommes saisis sur des dossiers qui couvrent l’ensemble du spectre des agences immobilières. Nous n’avons évidemment pas le même degré d’exigence vis-à-vis d’une grande entreprise qui intervient sur la Cote d’Azur par exemple, qui connait la législation antiblanchiment, que vis-à-vis d’une petite entreprise familiale installée dans une zone moins exposée qui a entendu parler de la législation mais n’a pas les connaissances qu’elle devrait avoir. Chacun est exposé, bien sûr, mais les enjeux du blanchiment ne sont pas les mêmes pour des villas de plusieurs millions d’euros et des petits biens immobiliers.
JDA : Que doivent savoir les professionnels de l’immobilier ?
F. L. : Ils doivent comprendre que les obligations auxquelles les soumet la loi visent à les mettre à l’abri de la participation à leur insu à des opération de blanchiment ou de terrorisme. Ils doivent savoir qui est le bénéficiaire effectif de l’opération, avoir le souci de se former sur la question, de se tenir au courant. Concrètement, ils doivent tout d’abord vérifier l’identité des candidats potentiels à l’achat ou à la location à qui ils font visiter des biens. Ils doivent vérifier l’origine des fonds, conserver les documents pendant cinq ans. Le plus délicat à mettre en oeuvre, c’est l’obligation particulière dont le reste découle : les agents immobiliers doivent avoir un système d’évaluation et de gestion des risques, un document général qui part de la situation particulière de l’opérateur. Une entreprise qui se contente de mettre dans un tiroir un modèle élaboré par sa tête de réseau ne respecte pas ses obligations.
JDA : Les agents commerciaux entrent-ils dans le champs d’application de la législation ?
F. L. : Oui. Cette année, la commission a été saisie, pour la première fois, pour une affaire concernant un agent commercial… qui a été sanctionné. Les agents commerciaux se doivent se mettre eux aussi – et pas seulement leur structure – en situation de respecter la législation.
JDA : Allez-vous durcir des sanctions ?
F. L. : Jusqu’à présent, la Commission a largement privilégié la publication anonymisée de la sanction. Cette situation devrait évoluer avec l’application des dispositions sur les sanctions issues de l’ordonnance du 1er décembre 2016, ayant transposé la 4e directive sur la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme, qui prévoient que la publication des sanctions est réalisée, en principe, en mentionnant le nom des personnes sanctionnées.
QUE RETENIR DES SANCTIONS APPLIQUEES EN 2017
. Les agents commerciaux ne sont pas épargnés
Le dossier : Un agent commercial exerçant dans le domaine de l’immobilier de luxe et de prestige, lié à une société exploitant un groupe d’agences sous franchise et collaborant avec plus de cent agents commerciaux. Il exerçait son activité professionnelle de manière indépendante. Les griefs : Manquements aux obligations applicables en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme.
Quelles sanctions : L’agent commercial a notamment écopé d’un avertissement et d’une sanction pécuniaire de 1500 euros. Décision du 14 juin 2017 (dossier n° 2016-09).
. Attention aux montages complexes sur les ventes à plus de 10 millions d’euros
Le dossier : Un groupe de sociétés exploitant des agences immobilières dans le secteur de l’immobilier de luxe et de prestige actives dans le sud de la France. Le groupe avait signé un contrat de franchise. Le contrôle avait porté sur l’une des sociétés du groupe.
Les griefs : La CNS a retenu six griefs, dont le manquement à l’obligation de vigilance renforcée sur plusieurs ventes réalisées portant sur des montants supérieurs à 10 millions d’euros et étant effectuées en utilisant des montages juridiques complexes via des pays étrangers. Quelles sanctions ? Une interdiction d’exercice d’une durée de six mois avec sursis et une sanction pécuniaire d’un montant de 10 000 euros. Elle a prononcé un avertissement à l’encontre du gérant de la société. Elle a également sanctionné le dirigeant de la société contrôlant les trois filiales exploitant les agences immobilières par une interdiction d’exercice d’une durée de six mois avec sursis et une sanction pécuniaire d’un montant de 3 000 euros, en raison de l’activité de direction et de gestion qu’il exerçait dans la société ayant fait l’objet du contrôle. La Commission a décidé la publication des sanctions dans deux journaux. Décision du 28 juin 2017.
. Soyez en conformité le jour de l’audience
Le dossier : Dans ce dossier, la Commission nationale des sanctions a été saisie d’un contrôle portant sur une société exploitant plusieurs agences immobilières dans le secteur de l’immobilier de luxe et de prestige dans le sud de la France. Elle détenait en portefeuille plusieurs centaines de biens.
Les griefs : La Commission a retenu cinq griefs. Bien que des initiatives aient été prises après le contrôle, la société n’était pas en conformité avec ses obligations au jour de l’audience.
Quelle sanctions ? La Commission a retenu contre la société un blâme et une sanction pécuniaire de 30 000 euros. Elle a condamné son président à un blâme et à une sanction pécuniaire d’un montant de 15 000 euros. Elle a décidé la publication des sanctions dans trois journaux. Décision du 23 août 2017.
Propos recueillis par Ariane Artinian©BazikPress/Lebedinsky