Ce qui s’est passé est singulier : c’est peut-être la plus populaire des mesures promises par Emmanuel Macron alors en campagne pour l’élection présidentielle, la suppression de la taxe d’habitation, qui aura dégradé à la vitesse grand V les relations entre l’État et les collectivités locales. Jamais dans l’histoire de la République le lien entre l’exécutif national et les exécutifs locaux n’a été aussi malmené. Comment a-t-on pu en arriver là ? Quelles conséquences sont-elles le plus à redouter ?
L’engagement de campagne du candidat Macron aura été tenu dès la loi de finances initiale pour 2018 : pour 80% des ménages, la taxe d’habitation sera supprimée en trois tiers, au cours des trois exercices budgétaires à venir. Le Chef de l’État est même allé plus loin lors d’une récente intervention publique en disant qu’il lui paraissait inéquitable de ne pas accomplir le même geste pour le cinquième restant de la population. L’engagement d’Emmanuel Macron va jusqu’à prévoir une compensation auprès des bénéficiaires de cette taxe, les communes, dont elle constitue la première ressource. Au total, il est question pour ces collectivités locales d’une privation de l’ordre de 10 milliards d’euros, et plus si l’État procède à une suppression totale. Alors, dira-t-on, que demande le peuple des maires ?
Ils ne croient pas à la compensation. L’État les a déjà échaudés. Pas le même État, bien sûr, mais l’État est l’État et sa pente à la trahison budgétaire ne semble ni de droite ni de gauche ni du centre, mais bien partagée… C’est en tout cas la crainte, presque la conviction, des collectivités territoriales. Rien n’a pu rassurer les maires. Le Premier ministre a lancé des Conférences des territoires, en vain. À la dernière, le président de l’Association des maires de France, François Baroin, ne s’est même pas rendu, pour preuve que la confiance ne règne pas. Qui va faire les frais de cette mésentente cordiale entre l’État les collectivités locales ? Le logement de façon certaine et on le voit venir.
Nombre de maires ont averti : privés des moyens de l’action, ils devront se rattraper sur l’autre taxe à leur main, la taxe foncière. C’est dire qu’on va déshabiller Pierre pour habiller Paul, faire peser sur les seuls propriétaires ce qui incombait à tous les habitants. Le risque serait tellement avéré que le gouvernement ferait voter en hâte une disposition pour limiter les augmentations de taux que les maires seront tentés d’obtenir de leurs conseils municipaux. D’autant que le Président de la République a fermé une porte qui aurait pu donner de l’air aux collectivités: la révision des bases cadastrales, ces valeurs sur lesquelles sont calculées les taxes d’habitation et foncière et qui datent de 1970.
Un autre espoir s’éteindra: celui que les droits de mutation à titre onéreux, que l’on nomme improprement les « frais de notaire » baissent enfin. Les trois niveaux de collectivité locale en captent l’essentiel, dont les communes. Le raidissement des relations entre État et élus territoriaux éteint toute possibilité d’un accord en faveur d’une modération de cet impôt.
Le tableau ne serait pas complet si l’on ne mesurait pas le plus lourd préjudice qui pèsera sur le logement en cas de dégradation durable de l’ambiance entre le gouvernement et les maires : le recul de la construction. On désigne du doigt les maires malthusiens qui ne veulent pas que sortent de terre de nouveaux immeubles dans leur ville, de peur de bouleverser les équilibres sociologiques et de perdre les élections. Si ce réflexe existe, il n’est pas la principale cause des réticences des élus. Un programme de 30 ou 50 logements, c’est un besoin de services supplémentaires, qui coûtent à la collectivité. Une crèche, une antenne de police des transports en commun …, bref les habitants arrivent avec de légitimes attentes. Dans l’incapacité d’y répondre, l’élu préfèrera ne pas autoriser un promoteur à construire.
On le voit, le logement pourrait vite être le grand perdant des tensions entre État et collectivités locales. Le logement et surtout les projets des ménages, leur mobilité, la démographie, la productivité au travail, la vie du pays en somme, que l’activité du marché résidentiel conditionne tellement. Il est urgent que nos dirigeants anticipent et éloignent pour les Français cette terrible menace. Ils ne leur pardonneraient pas de leur faire payer ce lourd tribut !