« La marque immobilière, un contrat de confiance ? », Nathalie Gardes Enseignante chercheuse à l’Université de Bordeaux

La question de la marque est d’une importance stratégique majeure lorsque le risque perçu des clients est élevé comme c’est le cas dans le secteur immobilier. La difficulté d’évaluation de la qualité du service dans un contexte de défiance généralisée à l’égard des professionnels du secteur est en effet particulièrement anxiogène pour le client. Ceci d’autant plus que l’achat, la vente, ou la location d’un bien immobilier touche à un sujet émotionnellement fort : le patrimoine.

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En considérant la marque comme un contrat de confiance sur des bénéfices matériels et immatériels qui y sont associés,  la marque présente deux avantages majeurs. Pour le client, elle réduit l’incertitude liée à l’acte d’achat (diminution de son asymétrie d’information). En tant que promesse faite sur un ensemble d’attributs du service, elle représente une garantie sur la qualité attendue, un engagement sur des satisfactions anticipées. Pour le professionnel, la marque l’affranchit vis-à-vis des clients d’avoir soit à prouver que leurs honoraires ne sont pas illégitimes, soit à justifier de leur valeur par la preuve ou l’épreuve. La marque à ce titre est un enjeu essentiel pour les professionnels de l’immobilier.

Cette thématique sera abordée ici dans une réflexion plutôt théorique afin de bien appréhender les enjeux de la marque immobilière. Nous proposerons dans un prochain article une approche plus opérationnelle de la construction d’une marque.

Notoriété n’est pas marque

Or, force est de constater que si les marques immobilières ont une très forte notoriété (locale ou nationale), quasiment aucune n’a réussi à bâtir une marque, c’est-à-dire à construire une identité forte autour d’attributs spécifiques et distinctifs facilement identifiables par le client. Si la marque n’existe que lorsque les éléments de satisfaction associés aux promesses sont certains alors il difficile d’identifier dans le paysage de véritables marques immobilières. Pour l’heure le contenu des marques immobilières a du mal à convaincre sur une valeur réelle et spécifique et porte rarement un engagement invariable à même de soutenir la confiance.

Les premiers résultats d’une étude sur l’image de marque [1] des grands réseaux confirment cet état de fait. La difficulté des personnes interrogées à évoquer d’autres associations aux marques immobilières que celles de la couleur du logo ou d’aspects négatifs cautionne ce déficit. Une telle situation est problématique car en l’absence de marque distinctive permettant d’identifier de vraies différences justifiant une différence de prix, les gagnants de demain seront les low-cost

Le problème trouve ses origines dans l’hétérogénéité intrinsèque du service immobilier, l’absence de positionnement clair sur des valeurs ajoutées bien réelles et enfin l’insuffisante visibilité des valeurs défendues par la marque. C’est sur ces éléments que les enseignes vont devoir jouer pour construire leur marque.

[1] Recherche en cours de l’auteur

Réduire la variabilité du système d’interaction

L’hétérogénéité est inhérente au fait que le service est coproduit. Le client, le conseiller et la structure au sein de laquelle se déroule le service définissent le système de production du service. Cette spécificité productive qui fait dépendre le résultat de la prestation de la performance de l’interaction client/prestataire complexifie la maitrise de la qualité du service délivrée et rend difficile sa standardisation. Si le rôle de la marque n’est pas tant de promettre le meilleur que d’assurer le certain on comprend sans peine les difficultés auxquelles font face les marques immobilières.

A cause de l’impact humain découlant de l’interface entre l’acheteur et le vendeur, elles doivent composer avec une grande variabilité de qualité. Compétence du client, compétence du conseiller et structure sont les trois dimensions qui expliquent la qualité et ses variations entre deux agences d’une même enseigne. La structure pouvant facilement respecter un standard de qualité par définition d’un cahier des charges, le défi porte sur le couple client/conseiller. La rencontre est donc un élément clé, le moment de vérité sur la qualité du service.

En tant que système d’interaction, la variabilité de la qualité découle de la compétence du conseiller.

Différentes recherches attestent que les attitudes et les comportements des employés en contact peuvent influencer les perceptions des clients sur la qualité du service. Créer une marque nécessite que ceux-ci soient non seulement en adéquation avec les valeurs défendues par la marque (1)  mais également en mesure d’assurer la qualité relationnelle choisie (2) . Sur le premier point, le développement d’un marketing interne permettant d’informer et d’imprégner le personnel avec les valeurs de la marque est impératif. Pour le second point, assurer un niveau minimum de qualité relationnelle implique l’automatisation de certaines décisions et/ou étapes du process de vente conjointement à une formation du personnel en contact.

En résumé maîtriser la qualité pour réduire la variabilité du système d’interaction nécessite de :

  • Déployer un marketing interne : les promesses des marques de service seront rarement tenues si l’ensemble du personnel n’intériorise pas les valeurs de la marque dans leur propre comportement. La marque n’est alors autre qu’un leurre qui crée des attentes chez les clients, vite démenties dans les faits. Il convient donc de travailler l’identité de la marque en interne en déployant une culture d’entreprise forte.
  • Uniformiser la prestation grâce au numérique : le numérique, l’intelligence artificielle, l’algorithme soutient un niveau de qualité minimal par la standardisation du traitement de la clientèle et le contrôle de son expérience de service..
  • Former les commerciaux à la vente adaptative : quant aux éléments de la relation ou aux étapes du process de vente qui nécessitent la rencontre avec le conseiller, il conviendra de s’assurer que le conseiller dispose de la compétence relationnelle requise : prédispositions des vendeurs à pratiquer la vente adaptative [2] (ajustement au client, coopération, savoir-faire) et à adopter des comportements éthiques et pro-sociaux (aide, partage, considération de l’autre, savoir-être). Cela implique peut-être de corréler la rémunération du conseiller à la satisfaction du client.

[2] Echelle de Spiro et Weitz

Se positionner sur des valeurs ajoutées invariables et valorisées par le client

La marque n’existe que si elle représente une somme de valeurs ajoutées bien réelles et valorisées par le client. Sur ce point deux problèmes se présentent : le premier trouve sa source dans un nombre de segments (clients ou produits) trop important. Une offre présentant des caractéristiques trop hétéroclites rend difficile la définition d’attributs spécifiques à une marque. Cela se traduit par une absence de positionnement clair. Les orientations multi-directions sont un danger car ne permettent pas de proposer au client des avantages concrets, simples et différenciant. Sur ce point on comprend sans peine le succès des enseignes spécialisées. Le second s’enracine dans une proposition de valeur qui ne correspond pas toujours aux besoins du client. Les nouvelles technologies nous ont fait entrer dans l’ère du temps réel, de l’immédiateté, de la qualité de l’image et de l’information. Consommer de l’immobilier que ce soit à la transaction ou à la location doit se penser de façon plus intelligente, plus moderne et moins contraignante ! Les professionnels doivent être en mesure de répondre à ces nouvelles exigences.

A défaut de pouvoir tenir un positionnement focalisé sur un segment de produits ou de clients, choisir la ou les valeurs attendues par les clients et qui permettront de se distinguer est une réflexion indispensable car de celles-ci dépendent la volonté de payer. Une petite enquête [3] sur les éléments de valeur essentiels attendus par les clients aboutissent aux résultats suivants :

[3] 70 personnes ont été interrogées sur les éléments de valeurs qu’elles attendaient d’un agent immobilier à partir d’items suggérés.

Tableau 1 : Attentes de valeur des clients vis-à-vis des services immobiliers

  1. Si rien ne peut se faire sans la qualité, nos styles de vie modernes ultra connectés cultivent l’exigence d’immédiateté et d’instantanéité. La rapidité, la facilité et la fluidité du service rendu sont des éléments de valeur importants pour le client. Une attention particulière devra être portée à la réduction de son niveau d’effort ainsi qu’à la manière dont il est sollicité pour coproduire le service. Tout ce qui va simplifier la vie du client est donc source de valeur  …
  2. Cette attente de sécurité provient du caractère anxiogène de l’achat ou de la location immobilière. Garantir une information sur les biens et leur valeur, une expertise juridique, une éthique professionnelle, une prise en charge des problèmes sont des éléments à même de satisfaire cette attente.
  3. On touche ici aux besoins psychologiques des clients. Si l’expérience esthétique et émotionnelle peut se penser dans la construction des sites et des réseaux sociaux de l’enseigne (Era a redéfini l’approche de son site dans ce sens), l’agence est le levier privilégié de l’expérience. Les clients attendent du beau, du bien-être. Bumper l’a bien compris. Leur leitmotif : le beau fait vendre semble leur réussir. Redéfinir l’espace de vente, le concept et le rôle même de l’agence pour répondre à cette attente semble nécessaire..  Si elle ne permet pas de faire vivre au client une expérience agréable, l’agence ne représente qu’un coût de structure qui pèsera à l’avenir sur la compétitivité.
  4. Sans doute cette attente est la moins intuitive car la consommation de services immobiliers n’est pas à proprement dire ostentatoire ou symbolique. En considérant la tendance sociétale plus citoyenne qui conduit les individus à une recherche de responsabilité dans leurs achats, les choses s’éclairent. Le consommateur utilise son pouvoir d’achat pour défendre des valeurs sociales ou exprimer une vision de lui-même. La marque à travers des opérations de sponsoring, de cobranding ou d’endossement peut dès lors procurer au client des bénéfices symboliques valorisant et répondre au désir d’affiliation et d’appartenance des individus.

Créer un lien affectif avec le client en associant sa marque à des valeurs

O’Cass et Grace (2003) expliquent que les marques de service fortes sont celles qui parviennent à créer un lien affectif avec leurs clientèles. Elles leur permettent de projeter leurs identités personnelles, de s’engager et de s’impliquer émotionnellement. Pour gagner en force, la marque immobilière doit être en capacité d’établir une stratégie claire sur ce qu’elle souhaite faire, sur les valeurs importantes sur lesquelles elle s’engage ou sur celles qu’elle considère comme fondamentales. Les fondateurs de la nouvelle marque Nesteen ont bien compris l’importance de la marque et de ses valeurs. C’est la raison pour laquelle celles-ci sont présentées dans les espaces d’accueil de l’agence (cf. article d’Ariane Artinian). 

Tableau 2 : Les valeurs des marques immobilières par famille de valeur

Les valeurs affichées par les professionnels de l’immobilier peuvent être classées selon la typologie proposée par wellcom (cf. tableau 2). On peut noter que les valeurs qui se fondent essentiellement sur une approche fonctionnelle sont insuffisantes pour construire une marque forte. L’attachement à la marque est intimement lié au lien affectif qui se constitue. La marque doit parler au client. Elle doit mettre en lumière des émotions, des envies et transmettre des valeurs qui dépassent une finalité utilitaire. Seules deux enseignes citent des valeurs qui appartiennent à la famille d’épanouissement.

I loge your brand : miser sur le dépassement de soi pour faire aimer sa marque

Rémunération jugées excessives, vente forcée, manque de transparence et d’éthique professionnelle, nourrissent une opinion très majoritairement négative à l’égard des professionnels. L’amélioration récente de leur image ne suffit pas à gommer la suspicion, la marque devient dès lors l’enjeu de la confiance. Le développement de partenariats avec des acteurs engagés socialement ou sur un plan environnemental est une façon de doter sa marque de valeurs éthiques fortes et de redorer son blason.

Outre la différenciation que l’on peut en attendre, l’engagement de la marque est avant tout un socle sur lequel peut se construire la confiance. Avec pour slogan « Apportez une brique au mieux logement » la fondation I loge you est une piste intéressante pour apporter au client des éléments de valeurs transfigurateurs (dépassement de soi) qui vont agir sur sa préférence et peut-être lui donner le sentiment d’une relation plus humaine.

Nous soulignerons que pour nombre d’enseignes la définition de valeurs semble être une variable négligée ce qui pourrait être à l’avenir préjudiciable à ces institutions. Les valeurs de la marque sont l’ADN d’une entreprise. Outre son intérêt commercial c’est à travers ses valeurs qu’une marque attire séduit et retient les nouveaux talents. A ce titre les valeurs de la marque sont des outils de pérennisation de l’entreprise.

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Enseignante chercheuse à l’Université de Bordeaux, Nathalie Gardes est titulaire d’un doctorat et d’une habilitation à diriger des recherches. Elle publie dans différentes revues scientifiques en marketing stratégique.
Responsable de la licence professionnelle métiers de l’immobilier option transaction et commercialisation de biens immobiliers à l’IUT de Bordeaux, elle dispense des cours en stratégie et marketing immobilier. nathalie.gardes@u-bordeaux.fr

 

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Nathalie Gardes: Nathalie Gardes est Enseignante chercheuse à l’Université de Bordeaux, elle est titulaire d’un doctorat et d’une habilitation à diriger des recherches. Elle publie dans différentes revues scientifiques en marketing stratégique. Responsable de la licence professionnelle métiers de l’immobilier option transaction et commercialisation de biens immobiliers à l’IUT de Bordeaux, elle dispense des cours en stratégie et marketing immobilier.