Les Français et parmi eux les professionnels de l’immobilier sont en train de comprendre à quelle sauce ils vont être mangés. Le gouvernement vient d’accomplir un geste symbolique, en réduisant de 5€ le montant de l’APL perçue par quelque 6,5 millions de ménages. L’économie à en attendre par l’État est de 400 millions en année pleine, et près de cent millions déjà sur la fin de l’exercice en cours puisque la mesure prendra effet au 1er octobre prochain. Au-delà de cette décision prise en urgence pour boucler le budget, il est annoncé une remise à plat de tout le système des aides personnelles. Pour le Pinel, on sait juste que le ministre de la cohésion des territoires, Jacques Mézard, considère que le supprimer purement et simplement serait préjudiciables au secteur… Une belle manière de dire qu’il sera revu et corrigé, à la baisse s’entend.
Certes, il y a d’apparentes bonnes nouvelles: l’État veut exonérer de taxe d’habitation 80% des ménages, en compensant le manque à gagner des communes par une dotation… Sauf qu’au bout du compte, cela sera étalé sur trois ans et entretemps le Premier ministre a fait part de sa volonté que la fiscalité locale immobilière soit revisitée et qu’au passage les collectivités économisent 13 milliards d’euros…correspondant sans doute aux moindres rentrées fiscales qu’elles enregistreront. Bref, les relations entre les collectivités et l’État se sont rafraîchies et bien malin celui qui peut présager de l’avenir de la pression fiscale locale: l’exonération de taxe d’habitation sera-t-elle neutralisée par une hausse de la taxe foncière? Ou, comme le préconise Édouard Philippe, créera-t-on un nouvel impôt à destination des collectivités prélevé en même temps qu’une contribution nationale telle que la CSG? En clair, le bénéfice de ces grandes manœuvres pour les familles reste à mesurer.
Enfin, on sait que se prépare un vaste projet de loi sur le logement, reprenant une partie significative du programme du candidat Macron, mais on en ignore encore les grandes lignes…sachant qu’il devrait être mûr pour la rentrée. Il devrait inaugurer un bail de courte durée pour les actifs mobiles, assortis de moindres obligations de la part du locataire. Il devrait aussi élargir le concept d’opération d’intérêt national, avec à la clé la possibilité de se passer des maires pour délivrer les permis de construire. Il devrait enfin simplifier administrativement l’acte de construire.
Quelle est la caractéristique de toutes ces décisions? Elles n’associent en rien les organisations professionnelles ni les associations ni les pouvoirs exécutifs locaux. A ce point, de mémoire de lobbyiste, cela n’est jamais arrivé. Jacques Mézard et son secrétaire d’État, Julien Denormandie, ne se sont pas pressés pour recevoir les fédérations ni les organisations de consommateurs. Si: la très influente Fondation Abbé Pierre a bien été reçue quelques jours avant la mesure APL, qu’elle a apprise comme tout le monde par les journaux. On sent que le dialogue ouvert avec les corps intermédiaires ne sera pas la méthode Macron. On sait aussi depuis peu que ce gouvernement va imposer une nouvelle façon d’échanger avec l’opinion: le ministre Mézard vient de lancer une consultation, accessible à tous, élus, syndicats, experts, tous ceux qui s’estiment « acteurs du logement, de la construction et de l’aménagement » -pour citer l’appel à contribution-, pour recueillir les avis de nature à l’éclairer dans l’élaboration du projet de loi. Une plateforme numérique est l’outil de ce moment de démocratie participative. Les réponses devront parvenir au ministère au plus tard le 10 septembre.
Certes, c’est moderne. Ma grand mère eût dit « c’est chic ». Au-delà de cet effet, ce choix tactique peut laisser songeur, à plus d’un titre. D’abord, est-il normal de mettre à la toise tous les contributeurs possibles et imaginables? Les organisations professionnelles et les associations n’ont-elles pas vocation à sortir du lot? Ensuite, le concept d’un Grenelle n’eût-il pas été plus productif, avec des débats et des échanges, que ces livraisons un peu froides? Où est la place faite à l’argumentation, à la plaidoirie? On parle de sujets complexes, qui ne sont pas que factuels ou chiffrés. On parle de choix discutables, à discuter donc. S’il n’y avait qu’un chemin pour résoudre les problèmes de logement, on l’aurait emprunté. Enfin, le délai imparti et la période sont pour le moins singuliers: les acteurs concernés sont pour beaucoup en vacances… Il y ont droit! Au sein des institutions syndicales en outre, des procédures internes sont à l’œuvre et un président ne peut seul prendre la responsabilité d’une prise de position. En somme, une décade -si l’on soustrait le très particulier mois d’août- ne suffira pas.
Bien sûr, on pourrait objecter que le débat parlementaire corrigera les malentendus. Un seul problème: les spécialistes du logement ne sont plus députés! Il va falloir que la relève apparaisse et se forme. Quant au Sénat, on verra après le renouvellement par moitié de septembre quelle est sa physionomie: il risque de perdre aussi quelques figures emblématiques de la politique du logement. Sans parler de ce qui ressortit non pas aux élections mais au cours des choses, qui peut être cruel: Nicole Bricq, qui vient de décéder accidentellement, comptait parmi les experts du logement.
Alors que sera l’avenir pour la communauté immobilière? Celui des vaches maigres, parce que le budget du logement va être éprouvé. Peut-être aussi celui de la sécheresse des relations avec l’exécutif et de la maigreur du lien avec le parlement. Est-ce tenable? Une politique tracée dans ces conditions peut-elle être bonne? Au fond, on ne l’a jamais expérimenté. Il reste que l’addition des intelligences et le débat de conviction sont des garanties de moins se tromper, sinon de trouver la vérité.