Michel Mouillart exprime son scepticisme sur l’efficacité des mesures du programme Logement du nouveau Président de la République.
Le programme logement d’Emmanuel Macron préconise de créer un choc d’offre. Est-ce la voie à suivre?
Michel Mouillart : Personne ne peut être contre l’idée de mettre plus de logements sur le marché. Encore faut-il regarder en détail comment il est envisagé de créer ce choc d’offre. Et il faut aussi répondre à d’autres questions : et notamment, où construire plus et comment financer cela. Mais en la matière, peu de précisions permettent d’y voir clair. Bien sûr, il est précisé que l’encadrement des loyers ne sera pas remis en question, tant qu’une évaluation de son efficacité (laquelle ?) n’aura pas été réalisée : mais on ne sait pas qui la réalisera, quand, sur quelle base … Donc, autant dire que les investisseurs privés ne devraient pas être rassurés sur Paris, Lille, la région parisienne et demain, probablement d’autres agglomérations.
Alors le choc sera-t-il porté par les accédants : pas évident non plus si on se souvient, comme l’administration des finances l’a conseillé par le passé, que l’ISF deviendra un impôt sur la fortune immobilière, que la propriété immobilière n’est qu’une usine à produire de la rente et que la taxe d’habitation sera « réformée » afin d’éviter que sa révision ne vienne en rééquilibrer l’assiette au détriment du secteur locatif social …
Qui va porter le choc ? Probablement pas le logement intermédiaire. Si on veut un véritable choc d’offre, il faut s’en donner les moyens et pas seulement l’apparence.
Donc, qui va porter le choc ? Probablement pas le logement intermédiaire … ou alors il faudra se contenter d’une pénurie de l’offre, comme cela s’est constaté durant le quinquennat qui s’achève. Et si on descend dans le détail de certaines propositions, on voit bien qu’aucune des questions de fond n’est abordée. Prenons l’exemple du renforcement de la transparence dans l’attribution des logements sociaux, exposé comme une des solutions essentielles au traitement de la demande des ménages modestes. On a ici la ferme impression que la réalité est oubliée : le problème essentiel ne réside pas dans l’attribution (ou n’y est qu’accessoire) des logements sociaux. La question à régler est celle de l’occupation du parc locatif social, comme l’INSEE l’a récemment rappelé ; dans ces presque 400 000 ménages comptant parmi les 30 % des plus riches et qui occupent un logement social dans les grandes agglomérations ; dans la mise en œuvre d’un surloyer dissuasif afin d’éviter le renouvellement de ces situations ; … alors que l’accord est maintenant général sur le fait que le parc locatif privé loge plus de ménages pauvres que le parc locatif social, et même sur Paris ! Donc, si on veut un véritable choc d’offre, il faut s’en donner les moyens et pas seulement l’apparence.
Qu’est-ce qui pêche dans cette façon d’appréhender la politique du logement ?
Michel Mouillart : L’orientation générale n’est certainement pas la bonne. On a même l’impression qu’il suffit simplement de poursuivre dans la voie ouverte par la loi ALUR. Alors que les grands enjeux à venir sont négligés : encore une fois, comment la France pourrait-elle faire face à la pression de la démographie qui est annoncée pour les 25 prochaines années ? Où va-t-on loger tous ces nouveaux ménages, sur les marchés des grandes agglomérations déjà déstabilisés et déstructurés ? Comment répondra-t-on à la demande de 20 % de la population qui vit en zone rurale ?
La France rurale n’est donc pas suffisamment prise en compte ?
Michel Mouillart : Non. Pourtant les Français ont autant de mal à accéder à un logement dans les communes rurales ou dans les petites villes de moins de 10 000 habitants que dans la plupart des grandes agglomérations. Ne serait-ce que parce que sur ces territoires, il n’y a guère de logements locatifs sociaux, alors qu’on y compte proportionnellement plus de pauvres et de ménages très modestes que sur les territoires où le logement social est bien implanté. C’est aussi dans les petites agglomérations que la fracture sociale est à l’œuvre. C’est là aussi que la société se délite, et pas seulement dans les banlieues. Malheureusement, l’importance des situations humaines générées par les déséquilibres en matière de logement n’a pas été intégrée, ni d’ailleurs la réalité de la diversité des territoires et de l’insuffisance générale de l’offre. Il y a un vrai déficit de compréhension de la situation actuelle et de ces conséquences !
Propos recueillis par Ariane Artinian