Jean-Pierre Boudhar est un personnage. Un de ceux qui œuvre au quotidien en silence. Né dans une famille miséreuse, il travaille dès ses 13 ans. De foyer en foyer, il finit dans la rue, comme tant d’autres SDF mineurs. Ce qui va lui sauver la vie ? Une rage de vivre qui le pousse à se défendre contre le mauvais sort et à aider à son tour les SDF. Aujourd’hui, ce « diplômé de la rue » comme il aime à le dire est agent immobilier, propriétaire de six agences dans la région lilloise. Il revient pour nous sur son parcours hors du commun.
JDA : Quel est votre regard sur le mal-logement aujourd’hui ?
Jean-Pierre Boudhar : Je trouve ça triste, tellement lamentable. On attend tout le temps la trêve hivernale pour en parler. Et le reste de l’année, ils font comment les SDF ? C’est une question politique. Mais en France, il n’y a pas vraiment de politique du logement pour les mal-logés. Il y a eu l’Abbé Pierre et aujourd’hui sa fondation. Mais qui s’en soucie vraiment ? Chaque jour, je visite toutes sortes de maisons. Des belles et des moins belles. On ne se rend pas compte à quel point certains ont de la chance d’avoir un toit. Parmi mes locataires SDF, j’ai un chef d’entreprise qui a divorcé, perdu sa société et a coulé. La descente aux enfers est une dégringolade qui va très vite et qui peut concerner tout le monde. Et ça non plus, on ne le réalise pas assez.
JDA : Quels sont les moments qui ont le plus compté pour vous ?
Jean-Pierre Boudhar : Quand j’ai rencontré mon épouse Laurence, évidemment. Et puis l’un des autres moments le plus important pour moi, c’est quand j’ai acheté ma maison. J’en ai pleuré. J’avais besoin d’être propriétaire. Quand vous avez dormi dans la rue et que vous devenez agent immobilier, vous éprouvez de la fierté. Vous vous rendez compte ? Les murs m’appartiennent ! Cela a fait de moi un homme heureux.
JDA : Comment vivez-vous votre rôle d’agent immobilier « privé » et votre rôle solidaire ?
Jean-Pierre Boudhar : Je suis descendu très bas et je suis monté très haut. Et ça m’est très vite passé. Les grands hôtels, les belles voitures, ça ne sert à rien. Aujourd’hui le plus important pour moi c’est mon travail et que mes enfants soient heureux. L’argent m’a permis d’évoluer, de faire d’autres choses. Avoir beaucoup d’argent ne sert à rien si ce n’est pour aider les autres, pour créer des emplois, pour donner.
Je me suis découvert dans l’immobilier. Merci à ma femme qui m’a mis le pied à l’étrier ! Aujourd’hui, je loue des chambres à des SDF pour les aider à se remettre en selle. Parmi mes locataires, j’ai un fils de médecin. Mais aussi un monsieur de 71 ans qui avait une femme et des jumelles toutes les trois décédées dans un accident de voitures. Les SDF ne sont pas des clochards. Ce sont des gens blessés par des accidents de la vie. Je les aide comme je peux. Hier, j’ai récupéré des habits propres pour eux. J’ai distribué de la nourriture venant du Carrefour City. Et les politiques, ils font quoi eux ?
Tous ces hommes politiques, ils devraient vivre comme nous.
Ils devraient faire un stage dans une boulangerie, chez un maçon, pour comprendre ce que c’est. Après, ils gouverneront bien.
JDA : A vos yeux, quelles sont les solutions pour sortir les SDF de la rue ?
Jean-Pierre Boudhar : Il y a des actions de terrain et des actions médiatiques à mener de front. Il faut créer des logements avec des permanences d’éducateurs et de psychologues pour les aider à se remettre sur le bon chemin. C’est compliqué si on les laisse seuls. De nos jours, il n’y a plus « d’humain » pratiquement. Avant on écoutait son voisin, maintenant on a peur de tout. Il faut de la compassion et de l’amour. C’est important. Quand vous avez la chance de naître dans une famille aimante, vous avez toutes vos chances de bien grandir. Eux aussi ont besoin de se sentir soutenus.
Et il faut une grande émission nationale à l’image du Téléthon avec un parrain comme Dany Boon qui est du Nord, qui connaît les difficultés de notre région. Moi, je suis tout petit, je fais ce que je peux à mon niveau.