La loi ALUR n’en finit pas de révéler sa noirceur. Les décrets d’application viennent les uns après les autres donner corps au texte législatif, montrant combien certaines dispositions sont irréalistes et dangereuses. Il en va ainsi de l’extension annoncée par Madame Cosse de l’encadrement des loyers. On croyait que l’incendie serait circonscrit à Paris et voilà qu’il va toucher Lille, la couronne parisienne et Grenoble. Le pire n’était pourtant pas arrivé: dans le projet de loi « Égalité et citoyenneté », une disposition sournoise habilite le gouvernement à légiférer par ordonnance pour doter la Commission de contrôle, organe disciplinaire, pour lui affecter une taxe prélevée auprès des professionnels de la transaction et de la gestion.
Il aura fallu ce viol législatif, qui privera le parlement de tout débat sur le sujet, pour que la communauté immobilière mesure l’imposture dont elle est victime. La profession a appelé de ses voeux un conseil national qui intègre des représentants des consommateurs au côté des organisations syndicales de la transaction et de la gestion, parce que des avis rendus au gouvernement sur des projets de règlementation sont mieux fondés si professionnels et utilisateurs des services les coproduisent. S’agissant de trancher les litiges entre particuliers et agents immobiliers ou administrateurs de biens, ce qui a été prévu par la loi ALUR est inacceptable et ce que tente d’y ajouter le projet de loi « Égalité et citoyenneté » est de l’ordre de l’imposture.
De quoi s’agit-il ? D’un tribunal d’exception dont les décisions seront par construction orientées. Les magistrats y seront majoritaires et c’est l’un d’entre eux qui présidera l’instance. Pour autant, ils n’y représenteront pas l’appareil judiciaire, mais y siègeront pour leur compétence supposée. Les sièges restants seront partagés à parité entre des consommateurs et des professionnels n’étant plus en activité, pour éviter les conflits d’intérêts. Quel poids ces professionnels auront-ils ? Arithmétiquement, il sera insignifiant. Le premier scandale réside dans ce simulacre de cour de justice spécialisée, fondée sur une équation curieusement équilibrée. On voit bien à quelle sauce les professionnels seront mangés et quel goût constant elle aura.
À cette vision perverse de la justice, le gouvernement ajoute l’imposture et l’injure: il faudrait que la collectivité des transactionnaires et des gestionnaires finance le fonctionnement de la Commission de contrôle! On s’égare: si un tribunal est un cénacle constitué de fonctionnaires, il est naturel que l’État le finance, c’est-à-dire que l’ensemble des citoyens contribue par l’impôt à faire vivre le service public. Les tribunaux sont payés par le budget de la nation. Quelles modalités de financement pour une Commission fondée sur le partenariat entre le privé et le public, avec cohabitation des consommateurs et des professionnels? Il est évident que les derniers n’ont pas à assumer le fonctionnement de ce monstre juridique. Mais la difficulté à trouver le payeur légitime ne révèle-t-elle pas que la Commission telle qu’elle a été bâtie est contre nature?
Si, bien sûr. Quelle voie désormais? La modification urgente de la loi ALUR, pour transformer cette étrange Commission de contrôle en instance professionnelle, à l’instar de ce que connaissent les professions ordinales. Il faut dire haut et fort qu’il n’y a que deux façons de juger un différend entre un professionnel et un particulier: saisir la justice ordinaire, et créer un lieu où un professionnel est jugé par ses pairs.
Une telle Commission sera salutaire. Elle en appellera à la responsabilité des professions d’agent immobilier et d’administrateur de biens, et elle fondera la confiance entre les professionnels et les consommateurs. À l’inverse, ce qui a été conçu alimente la suspicion: comment voulez-vous que le public estime des métiers et des entreprises qu’on n’a pas cru capables de se réguler, et qu’on flanque de représentants des consommateurs et de magistrats en civil ? Repenser le modèle disciplinaire de la loi ALUR est une urgence.