Michel Mouillart : Son impact sur le marché devrait être considérable puisqu’il devrait s’appliquer lors de chaque nouveau contrat de bail, donc à chaque nouvelle location ou relocation, mais aussi lors du renouvellement d’un bail en cours. La loi ALUR précise en effet (article 17-2. – I) que si le locataire habite un logement dont le loyer est supérieur au loyer médian majoré, il pourra entreprendre un recours en diminution du loyer dès lors que le loyer est supérieur au loyer médian de référence majoré.
Si on observe la situation du marché parisien en 2014, on peut estimer avec CLAMEUR que 20.4 % des nouveaux baux seront affectés par l’encadrement des loyers, hors impact du mécanisme de complément de loyer. Ce sont alors 3.5 % des logements parisiens qui, à ce stade, vont connaître une baisse moyenne des loyers de 22.5 % du fait de l’encadrement.
Et comme l’encadrement va impacter les renouvellements de baux, ce sont 2.5 % supplémentaires des logements parisiens qui vont supporter une baisse de loyer : une baisse de plus de 20 %, en moyenne !
6% des loyers parisiens devraient baisser de plus de 20% du fait de l’encadrement
Au total, de l’ordre de 6.0 % des loyers parisiens devraient donc baisser, fortement : ce qui représente près de 23 000 logements locatifs privés, chaque année. Pour sa part, l’OLAP considère que 20 000 logements parisiens seraient au-dessus du loyer de référence majoré ! Dans tous les cas, il ne s’agit donc pas d’un épiphénomène …
JDA : Quels sont les ménages qui vont bénéficier de cette baisse de loyers ?
Michel Mouillart : La situation est paradoxale, car si on se reporte aux explications qui avaient été données lors des débats parlementaires consacrés à cet encadrement des loyers, ce ne seront pas les ménages modestes qui vont être les bénéficiaires des baisses de loyer ; les niveaux de loyers qui sont concernés ne sont pas ceux que des ménages d’instituteurs ou de jeunes employés de banque en début de carrière peuvent supporter. En revanche, ce sont les ménages aux revenus (les plus) élevés qui vont être les gagnants, avec un sérieux « coup de pouce » à leur pouvoir d’achat.
Les baisses de loyers vont bénéficier aux ménages les plus aisés
Les ménages modestes qui supportent les loyers de marché les plus bas devraient en revanche être pénalisés par le nouveau dispositif qui ouvre au bailleur un recours en réévaluation du loyer si ce dernier est inférieur au loyer médian de référence minoré. Pour sa part, CLAMEUR estime que 3.5 % des locataires (donc un peu moins de 14 000 ménages, chaque année) devraient connaître une augmentation de leur loyer … de 10 à 20 %, probablement. Entre les hausses et les baisses de loyer déclenchées par l’encadrement, 9.5 % des logements parisiens vont être touchés chaque année : donc un peu moins de 37 000 ménages.
JDA : Comment les bailleurs vont-ils s’adapter à cette nouvelle situation ?
Le nouveau dispositif d’encadrement des loyers fait ainsi peser des risques non négligeables sur l’ensemble de l’économie immobilière parisienne et sur la cohésion sociale.
La rentabilité locative devrait diminuer sensiblement, tant sur le flux que sur le stock et conduire les bailleurs à restructurer leur patrimoine : les propriétaires bailleurs (au premier rang desquels les sociétés cotées) dont les recettes locatives d’une partie de leurs immeubles vont baisser de 30 à 40 % (pour les 10 % supérieurs du marché) vont réajuster la composition de leur patrimoine, au détriment de l’immobilier. Pour maintenir un rendement satisfaisant, ils vont donc être tentés de réaliser des plus-values en capital, d’autant que le marché parisien de l’ancien se redresse rapidement et que la demande de logements à acheter est forte.
Les propriétaires bailleurs vont être tentés de réaliser leurs plus-values, l’offre locative risque de se contracter
Mais les risques concernent aussi la cohésion sociale : si le parc locatif privé se réduit sous l’effet du désengagement d’une partie des propriétaires bailleurs, la contraction de l’offre locative nouvelle va accroître la concurrence entre les candidats à la location aisés qui cherchent à accéder « à tout prix » à un logement urbain et les ménages modestes qui n’ont pas la capacité financière à résister. Le mouvement d’éviction des ménages modestes qui s’est amplifié sur Paris depuis le début des années 1980 ne devrait donc que se renforcer, à l’avenir.
Alors que l’incitation à réaliser des travaux d’amélioration et d’entretien du patrimoine va se heurter à la barrière du loyer médian majoré !
JDA : Que pensez-vous des méthodes de calculs utilisés pour la fixation des loyers ?
Il est probable que le dispositif a bien été calibré pour qu’il puisse provoquer la baisse la plus forte possible des loyers. En prenant en compte l’ensemble des baux en cours pour déterminer les médianes qui vont être utilisées dans la fixation du loyer de référence, la méthode de calcul revient déjà mécaniquement à réduire de 2 €/m² le nouveau loyer, sans même prendre en compte les conséquences de l’écrêtage qui résultera du jeu de l’encadrement ! On estime en effet que l’écart entre le loyer de marché et celui de l’ensemble des baux est de 2 €/m², … l’écart pouvant aller jusqu’à 6 €/m² si on prend comme référence le loyer d’un logement occupé depuis plus de 10 ans.
Le dispositif a été calibré pour provoquer la baisse des loyers la plus forte possible
Et derrière la méthode de « regroupement » des 80 quartiers, afin de créer les 14 zones, qui d’après l’OLAP se ressembleraient en loyers et en structure de l’habitat, on peut craindre que l’effet ne soit que de tirer vers le bas le niveau des médianes. Par exemple, on peut remarquer que le quartier de Javel se distingue de celui d’Auteuil, alors qu’ils sont classés dans la même zone : d’après CLAMEUR, les médianes calculées sur Javel sont toujours inférieures à celle d’Auteuil, de l’ordre de 2 €/m² … de quoi accentuer l’impact des conséquences de l’encadrement sur Auteuil.
Alors que les loyers de marché parisiens continuent à baisser en 2015 et que depuis 2012 ils ont cru de moins de 0.5 %, en moyenne chaque année, on ne peut que s’interroger sur le but recherché. L’étude d’impact de la loi ALUR (« Etude d’impact », NOR : ETLX1313501L/Bleue-1, 25 juin 2013 ») apporte peut-être, à cet égard, un élément de réponse : « il est … très difficile pour un locataire du parc social de sortir de ce parc vers le privé, car cela signifie une dégradation extrêmement sensible de son niveau de vie. Il est donc important pour la fluidité des parcours résidentiels de diminuer l’écart entre parc privé et parc social » (page 19). D’autant, et on le sait bien, que « la majorité des logements locatifs privés appartiennent aux personnes parmi les plus aisées » (page 20) !
Propos recueillis par Ariane Artinian©Fotolia